Dans un rapport pour l’Institut terram, Lova Rinel, commissaire à la Commission de régulation de l’énergie (CRE), pointe l’inadaptation des modules solaires standards mais également des solutions de stockage sous les climats équatoriaux. Le rapport s’intitule Énergie en Outre-mer : enjeux d’un service public sous contrainte. Un constat sans concession ! Extraits.
La transition énergétique dans les ZNI ne peut pas reposer sur les modèles continentaux. Les panneaux solaires y subissent corrosion, encrassement et chute de rendement rapide. Le stockage par batterie est peu fiable sous climat équatorial. Les solutions techniques importées sont rarement pensées pour durer dans l’humidité, l’isolement et la dispersion géographique. Pourtant, ces contraintes pourraient devenir des catalyseurs d’innovation. À Saint-Leu, à La Réunion, des dispositifs adaptés ont été conçus grâce à une mobilisation conjointe d’acteurs publics, techniques et territoriaux. Cette expérience prouve que les compétences existent mais qu’il manque une reconnaissance stratégique de ces territoires comme espaces d’innovation sous contrainte.
Transition sous contrainte : inadaptation des modèles technologiques standard aux réalités locales
La transition énergétique, telle qu’elle est généralement conçue depuis les centres de décision continentaux, repose sur des standards techniques, des modèles économiques et des principes de rendement élaborés dans des contextes de forte densité urbaine et de large accessibilité technologique. Ces hypothèses implicites façonnent des solutions pensées pour des environnements métropolitains. Or, dans les ZNI, ces conditions sont largement absentes. L’humidité constante des climats tropicaux, la dispersion de l’habitat, la difficulté d’accès à certaines zones et la fréquence des aléas climatiques rendent inopérante la simple transposition de technologies conçues ailleurs.
À Cayenne, par exemple, les panneaux solaires doivent être nettoyés manuellement à intervalles rapprochés, parfois toutes les deux semaines. L’encrassement, dû aux pluies acides, à la poussière latéritique, aux pollens ou encore à l’humidité constante, provoque une dégradation rapide du rendement, déjà bien documentée dans d’autres zones équatoriales. Des travaux menés au Sénégal estiment que le taux de dégradation annuel des modules peut atteindre 2 à 3 %, entraînant une perte de performance allant jusqu’à 20 % en dix ans, même avec un entretien régulier9. Par ailleurs, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) alerte sur les effets cumulatifs de la corrosion prématurée, de la prolifération microbienne et de la faible durabilité des matériaux importés.
Les trajectoires de transition énergétique dans les ZNI ne peuvent donc pas être fondées sur des technologies standardisées, conçues pour d’autres latitudes et d’autres réseaux. Elles nécessitent au contraire des solutions élaborées spécifiquement pour durer et fonctionner dans des milieux contraints. Ce que révèle cette situation n’est pas tant une défaillance technologique qu’un problème de conception du modèle de transition lui-même. Le déploiement de solutions photovoltaïques en Guyane, à La Réunion ou aux Antilles se heurte à des limites bien identifiées : corrosion accélérée des composants, chutes de rendement liées à la couverture nuageuse, maintenance fréquente, coûteuse, difficilement mutualisable, déficience du stockage dans les environnements chauds et humides…
Les batteries en souffrance sous climat tropical
Les batteries, souvent présentées comme solution complémentaire, n’offrent guère plus de garanties. En effet, leur durée de vie se réduit considérablement sous climat équatorial, leur fonctionnement devient instable, les risques d’incendie augmentent et leur remplacement compromet toute rentabilité. La CRE elle-même déconseille explicitement le développement du stockage décentralisé en Guyane, estimant qu’il est peu fiable, trop coûteux et inopérant pour la régulation du réseau.
Pourtant, ces dispositifs continuent d’être promus dans les appels d’offres nationaux, les trajectoires de programmations pluriannuelles de l’énergie (PPE) ou les feuilles de route ministérielles. Non par indifférence, mais parce que le logiciel de la transition énergétique demeure fondamentalement métropolitain : il privilégie la logique de déploiement rapide, de rendement énergétique et de réduction des émissions, sans intégrer pleinement les dimensions d’humidité, d’insularité, de dispersion géographique. Ce constat dépasse les seules frontières françaises. De nombreuses régions d’Afrique subsaharienne, d’Asie du Sud-Est ou d’Amérique tropicale font le même retour. Les équipements solaires importés, souvent bon marché, présentent des défauts de tenue dans le temps, une efficacité dégradée, une faible réparabilité et une absence de stratégie de fin de vie.
Même si elle ne porte pas sur une ZNI, une étude a mis en évidence que, dans un climat équatorial humide, les performances effectives des installations photovoltaïques peuvent être jusqu’à 25 % inférieures aux simulations européennes et que le coût actualisé de l’énergie peut être 30 % plus élevé. Cette réalité climatique trouve un écho direct dans les ZNI ultramarines. On peut en conclure que les performances théoriques des panneaux solaires modélisées pour l’Europe ne se vérifient pas dans les ZNI et que même avec une énergie « gratuite » (le soleil), le coût réel du kilowattheure produit n’est pas du tout négligeable, et peut même dépasser celui du thermique si le système est mal adapté. Il montre que la réussite d’un système énergétique ne dépend pas seulement de sa technologie mais aussi de sa compatibilité avec l’environnement physique, économique et social dans lequel il est inséré. À noter que le manque d’études académiques publiées sur le sujet des performances photovoltaïques en ZNI françaises constitue justement un vide stratégique à combler.
L’exemple probant de Saint-Leu à La Réunion
Dans ce contexte, la France porte la responsabilité de transformer cette expérience sous contrainte en capacité d’innovation contextuelle. Cela implique de dépasser une logique de simple transfert de solutions techniques pour engager une véritable réarticulation des savoirs. Ingénierie publique, collectivités locales, opérateurs énergétiques, monde académique et expertises territoriales doivent être mobilisés dans une démarche de co-conception, fondée sur la sobriété opérationnelle et l’adaptation fine aux réalités locales.
Il serait toutefois réducteur d’imputer à l’État seul les limites actuelles du modèle énergétique dans les ZNI. La puissance publique n’est pas restée inactive. Elle a su, au fil du temps, développer une expertise technique de haute précision, souvent peu visible mais unique au monde en matière de gestion énergétique en contexte insulaire. L’exemple de Saint-Leu, à La Réunion, en est une illustration probante. En dépit de contraintes climatiques sévères, de tensions sur les capacités de stockage et de difficultés récurrentes d’approvisionnement, des systèmes énergétiques performants y ont été conçus, installés et maintenus. Cette réussite est le fruit d’un travail collectif et patient, mené par les équipes de la CRE, d’EDF-SEI, des services déconcentrés de l’État et des ingénieurs territoriaux. Ces réalisations démontrent que les compétences existent, que les outils sont disponibles et que l’expérience accumulée constitue un socle solide. Ce qui fait défaut aujourd’hui, c’est la reconnaissance stratégique de ces territoires.
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