Lettre ouverte du SER à François Bayrou sur « Le droit à la vérité, préalable indispensable au devoir de lucidité »

Quelle mouche a donc piqué François Bayrou, le nouveau Haut Commissaire au plan ? Avec la publication de la note « Electricité : le devoir de lucidité », François Bayrou s’est fourvoyé. Il a ainsi proféré plusieurs affirmations imprécises, voire inexactes, alors que le devoir de lucidité commande de fonder l’analyse sur la base de données fiables.  De quoi susciter les commentaires grinçants mais policés mais surtout étayés du Syndicat des énergies renouvelables ! On vous dit en plus.  

En incipit de sa lettre à François Bayrou, le Syndicat des Energies Renouvelables par la plume de Jean-Louis Bal insiste sur le fait que les propos tenus tout au long des lignes de la note « Electricité : le devoir de lucidité » ne s’inscrivent en rien dans le débat qui cherche à opposer systématiquement l’énergie nucléaire aux énergies renouvelables électriques et empêche ce faisant une réflexion de fonds sur l’avenir énergétique de notre pays. De quoi apaiser d’entrée la relation épistolaire !

C’est un truisme. L’électricité sera amenée à couvrir une part croissante de notre consommation énergétique, elle ne représentera que 50% de notre approvisionnement en 2050 et la politique publique doit donc autant s’attacher à décarboner les secteurs des transports et de la chaleur qu’à maintenir le secteur de l’électricité décarbonée. « Néanmoins, dès lors que l’on limite le propos au seul secteur de l’électricité, nous partageons votre constat qu’apparaissent « un certain nombre de questions brûlantes et dont la réponse ne peut être différée ou tolérer l’ambigüité » écrit le SER qui a souhaité préciser différents points sur les allégations formulées par la Haut Commissaire béarnais. Miscellanées !

 

Les capacités devront croître de 50-60 GW pour le solaire photovoltaïque

 

-Sur la cohérence des objectifs entre eux : vous indiquez tout d’abord que « l’augmentation massive de la consommation d’un côté » va s’accompagner d’une « diminution massive de nos capacités de production de l’autre ». Ceci n’est pas exact. En effet, les objectifs fixés par la loi Energie-Climat de 2019 prévoient un déploiement massif des énergies renouvelables, en parallèle de l’abaissement de la part du nucléaire.

Selon le scénario « PPE » du Schéma décennal de développement du réseau présenté par RTE, les capacités devront croître d’ici 2035 de 30 GW pour l’éolien terrestre, de 10-15 GW pour l’éolien en mer, de 50-60 GW pour le solaire photovoltaïque, tandis que le parc hydroélectrique, au-delà d’une augmentation potentielle de ses capacités et de sa modernisation, continuera à jouer un rôle majeur pour apporter la flexibilité nécessaire à l’équilibre global du système électrique. A ce titre, nous regrettons que la part du nucléaire à l’horizon 2035 (soit 50% de la production) soit comparée avec celle des énergies renouvelables à l’horizon 2028 (36% de la production), en indiquant que « cela signifie une amputation d’ici 2035 de notre capacité de production électronucléaire de l’ordre de 30 % et une augmentation probable de la part d’électricité d’origine fossile au-delà des 8 % actuels ». Comme vous le savez, la loi prévoit que d’ici 2030 les énergies renouvelables devront représenter 40% de la production électrique, et les différents scénarios des évolutions possibles du mix électrique jusqu’en 2035 présentés par RTE montrent tous que cette part sera encore amenée à croître alors que la production fossile sera, elle, plus réduite. Une approche juste aurait donc été de comparer les contributions respectives des différentes sources d’énergie sur le même pas de temps (2035), ce qui aurait conduit à une autre conclusion ».

 

Les émissions entrainées par la fabrication d’un panneau PV compensées par sa production d’énergie au bout de quatre mois à un an et demi

 

- Sur le bilan carbone des panneaux photovoltaïques : votre note affirme, à notre grande surprise, que « le gain environnemental résultant de la production électrique d’origine solaire est incapable de compenser les émissions entraînées par cette fabrication. Au terme de la durée de vie de ces panneaux (quelque 25 années de production), le bilan total des émissions tout au long du cycle de vie est probablement défavorable ». Ces chiffres sont très éloignés de la réalité : l’institut Fraunhofer ISE, centre de recherche mondialement reconnu dans le secteur solaire, a calculé que les émissions entrainées par la fabrication d’un panneau photovoltaïque étaient compensées par sa production d’énergie renouvelable au bout de quatre mois à un an et demi selon la technologie utilisée et la localisation de l’installation.

 

Les besoins en foncier de la filière PV pour atteindre les objectifs de la PPE estimés entre 18 000 à 27 000 hectares pour un pays qui en compte 63 millions

 

- Sur la consommation de foncier liée au solaire photovoltaïque : vous indiquez que « les centrales photovoltaïques de grande puissance (…) sont consommatrices de grandes superficies de terres arables ou boisées » et qu’il s’agit d’une des principales difficultés pour « obtenir une augmentation massive de la production d’électricité renouvelable ». Là aussi, il nous semble important de préciser les ordres de grandeur des surfaces nécessaires à l’atteinte des objectifs de la politique énergétique de la France. Les besoins en foncier de la filière photovoltaïque pour atteindre les objectifs de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) sont estimés entre 18 000 à 27 000 hectares, dans un pays qui en compte 63 millions. Et ces installations ne seront pas nécessairement développées sur des terres agricoles ou forestières, puisque le cadre règlementaire et économique incite fortement les porteurs de projets solaires à se développer sur des espaces déjà urbanisés : le cahier des charges des projets développés en appels d’offres inclut ainsi un bonus (de 9 points) pour les projets qui se développent sur des sites dits « dégradés », comme des sites d’enfouissement des déchets par exemple. Cette incitation est efficace car, lors de la 6ème période de l’appel d’offres pour les projets au sol, 71% des lauréats ont candidaté sur ces sites dits dégradés » assure le SER.

 

La technologie des onduleurs permet de longue date de convertir un courant continu en courant alternatif

 

- Sur le fait que l’électricité éolienne et solaire est générée en courant continu : la note indique que « L’intégration de l’électricité produite sur l’ensemble du territoire à partir d’éolien et de solaire au réseau de transport et de distribution pose de très importants problèmes techniques. Par exemple, la production photovoltaïque se fait en courant continu basse tension, alors que le réseau transporte un courant alternatif haute tension pour limiter les pertes. La dispersion des sources de production sur l’ensemble du territoire rend la résolution de cette question encore plus ardue ». Il nous semble important de rappeler que la technologie des onduleurs permet de longue date de convertir un courant continu en courant alternatif pour un niveau de perte dérisoire (de l’ordre de 1%). La conversion en sens inverse est tout aussi fréquente, étant donné qu’une part non négligeable des usages domestiques nécessitent un courant continu : c’est le cas de la quasi-intégralité des appareils électroniques (ordinateurs, tablettes, téléviseurs) mais aussi des véhicules électriques. Si Enedis et RTE ne gèrent que des réseaux à courant alternatif, les producteurs d’énergies renouvelables leur fournissent bel et bien un tel courant, qui ne diffère en rien de ceux d’autres producteurs. Il est néanmoins à noter que du fait des caractéristiques intéressantes du courant continu en termes de limitation des pertes, et des fonctions de stabilisation des réseaux que pourraient avoir les onduleurs, de plus en plus d’opérateurs à travers le monde envisagent de développer des réseaux utilisant le courant continu, notamment pour les réseaux en mer. Il s’agit d’un enjeu industriel majeur à l’export dans les années à venir sur lequel nos champions industriels devront se positionner.

 

L’impact du raccordement des énergies renouvelables restera marginal

 

- Sur les besoins en investissement dans les réseaux : s’agissant de la question soulevée dans la note « Est-il possible de construire les réseaux de transport et de distribution d’électricité qu’exige cette production renouvelable sans de très lourds investissements et sans empiéter sur des surfaces naturelles ? La réponse est certainement non », nous rappelons que RTE et Enedis ont publié au cours des années écoulées leurs stratégies d’investissement qui intègrent le raccordement massif d’énergies renouvelables prévu par la loi. Ces documents ont été revus et approuvés par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et prévoient, pour RTE, des investissements à peu près similaires à ceux réalisés dans les années 1970-1990, alors même qu’en plus du développement des énergies renouvelables, RTE devra gérer le renouvellement massif des réseaux hérités des années 1950-60. S’agissant de la distribution, l’impact du raccordement des énergies renouvelables restera marginal par rapport aux investissements à destination des consommateurs, tout au plus 15% des investissements totaux d’Enedis en 2035 ».

 

Les différentes inexactitudes ou approximations qui émaillent la note du Haut Commissaire Bayrou conduisent à des conclusions biaisées et nuisent à une réflexion de prospective objective. L’apport majeur des énergies renouvelables pour réduire notamment la dépendance de la France aux énergies fossiles, ou le formidable potentiel d’innovation qui existe encore dans ce secteur, n’ont d’un autre côté pas été abordés dans cette fameuse note. Néanmoins, l’analyse de fond, qui en rejoint beaucoup d’autres, amène à une conclusion fondamentale : le développement des énergies renouvelables constitue une « option sans regret », un passage obligé dans toute démarche de décarbonation de la France. C’est pourquoi le SER formule le vœu que la réflexion, écartant les idées reçues sur les énergies renouvelables, se porte désormais sur les verrous qu’il convient de lever pour accélérer le développement de ces énergies. Tout en se disant heureux et prêt de pouvoir participer aux travaux futurs que le Haut-Commissariat entend mener sur l’évolution du système énergétique français dans le cadre « d’une discussion publique, sincère et efficace ».

 

 

 

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