Chaleur solaire/Interview Richard Loyen : « Il nous tarde que le plan d’action pour atteindre les objectifs PPE 2030 soit mis en œuvre »

La solution de la décarbonation de l’économie française passera nécessairement par le développement de la chaleur renouvelable, complémentaire de l’électrification des usages. Pourtant, la chaleur verte peine à trouver sa place dans le mix énergétique. Le point avec Richard Loyen, délégué général d’Enerplan !

Plein Soleil : Quelles sont les raisons du manque de dynamisme de la chaleur solaire pourtant incontournable dans les objectifs de décarbonation ?

Richard Loyen : Il y a selon moi plusieurs raisons. D’abord, le tropisme électrique des débats sur la transition qui oppose trop souvent nucléaire et renouvelables, laisse croire que l’électrification est le seul sujet. Ce tropisme électrique invisibilise les solutions de chaleur renouvelable, bien que la majorité de l’énergie que nous consommons serve à produire de la chaleur, et que celle-ci est encore largement produite à partir d’énergies fossiles importées. A l’heure où le gaz sert de moyen de pression géopolitique sur l’Europe, il est utile de rappeler que 80% du gaz consommé en France sert à produire de la chaleur pour le chauffage de nos bâtiments ou pour nos usines. Ensuite, la compétitivité de nos solutions est mesurée à celle des solutions au gaz. Et l’on peine toujours à donner un véritable signal prix sur le carbone, avec une trajectoire claire qui donnerait de la visibilité aux consommateurs. Enfin, le pays ne se donne pas les moyens de décarboner la chaleur. Contrairement à l’électricité renouvelable qui bénéficie d’un cadre de soutien pluriannuel, avec un budget en rapport avec l’objectif de croissance des capacités et le prix de marché de l’électricité.

« Nous devons réinventer l’offre avec de la vente de chaleur solaire et non plus d’équipements »

PS : Les très bons rendements du solaire thermique ne suffisent pas à doper son développement. Comment l’expliquez-vous ?

RL : Le solaire thermique a été éclipsé, dans la tête des clients comme chez les prescripteurs et les politiques, par le photovoltaïque dont l’essor mondial a permis de baisser les coûts. Par ailleurs, nous avons dû structurer une filière rassemblée pour la performance durable au travers de SOCOL, dans un marché en contraction. Les efforts engagés depuis plus de 10 ans payent, avec des maîtres d’ouvrage qui s’intéressent à nouveau au solaire thermique. Nous avons également réussi à élargir la palette de solutions, avec les PAC Solaires et les systèmes solaires combinés pour le collectif. Nous travaillons au couplage des solutions avec le bois énergie, les pompes à chaleur et la géothermie. Les systèmes solaires hybrides solaro-biogaz devraient être popularisés comme le sont les PAC hybrides. Nous constatons par ailleurs un intérêt croissant pour les capteurs hybrides thermiques et photovoltaïques (PVT) en France et en Europe. Enfin, nous devons réinventer l’offre avec de la vente de chaleur solaire et non plus d’équipements, comme cela existe déjà pour l’industrie et les réseaux de chaleur. Pour ces grandes installations au sol, nous espérons vivement que la proposition de loi TRACE adoptée au Sénat en mars 2025, puisse aboutir à l’Assemblée nationale d’ici au printemps prochain, afin que ces centrales ne soient plus considérées comme artificialisantes au titre du ZAN. Une fois ce « rocher au milieu de la route enlevé », nous pourrons avancer sur le chemin de la planification territoriale, pour valoriser du foncier près de nos villes et de nos industries qui sera dédié à la récolte de calories solaires pour substituer du fossile. Bref, la filière a pris du muscle sans faire de bruit, elle est jugée crédible par l’Etat et il nous tarde que le plan d’action pour atteindre les objectifs PPE 2030 soit mis en œuvre.

PS : Les champs d’application efficients semblent pourtant légion pour le solaire thermique, à l’instar de l’industrie, des réseaux de chaleur, du logement collectif, du tourisme ou encore de l’agriculture avec le chauffage des serres. La volatilité des prix du fossile est-elle responsable des difficultés de la chaleur solaire ?

RL : L’absence d’un véritable signal prix sur le carbone n’incite pas les consommateurs à investir et au contraire les invite à l’attentisme. La crise de l’énergie de 2021/22 est derrière nous. Et si le prix du gaz n’a pas retrouvé son bas niveau d’avant crise, il reste relativement abordable et l’offre de GNL est croissante. Toutefois, les acteurs ont désormais conscience que leur facture dépend de la géopolitique. Souveraineté et sécurité plaident pour substituer du fossile importé par de la production locale de chaleur verte, gage de stabilité pour les prochaines décennies. Il y a aussi le levier réglementaire qui a un rôle incitatif, avec des baisses de consommation d’énergie non renouvelable à justifier pour le secteur tertiaire d’ici 2030 ou l’obligation, pour les collectivités, de planifier l’approvisionnement de leur territoire en chaleur et en froid dès 2026, …  Et nous avons le fonds chaleur en dispositif de soutien, certes insuffisamment doté, mais qui existe pour les maîtres d’ouvrage qui souhaitent passer à la réalisation.

Le stockage inter-saisonnier est un « game changer »

PS : Le fonds chaleur, justement, est-il un atout suffisant à l’épanouissement du solaire thermique collectif ?

RL : Nous défendons la dotation suffisante du fonds chaleur à la mesure des besoins, compte tenu des ambitions de la PPE3 pour le solaire thermique. Avec une fiscalité carbone affectée, qui le ferait monter en puissance ces prochaines années. Il faut par ailleurs que l’aide du fonds chaleur puisse se cumuler avec celle des CEE, et des simplifications sont à trouver pour sa délivrance. Enfin, la mise en œuvre du critère « EnR choix » doit être appropriée par les directions régionales de l’Ademe et les porteurs de contrats de chaleur renouvelable territoriale. Le solaire thermique comme la géothermie pourraient par ailleurs bénéficier, à l’échelle du continent, d’un taux réduit de la part de la Banque européenne d’investissement (BEI), afin de réduire le coût de la dette de projets à fort Capex et faible Opex. Enfin, il faut envisager un dispositif alternatif à la subvention du fonds chaleur pour les grands projets qui vont devoir se multiplier par centaines ces prochaines années, avec un Contract for Difference (CfD) qui tienne compte du prix du gaz et du CO2 pour rémunérer la fourniture de chaleur solaire sur 15 ou 20 ans. On sait le faire pour le photovoltaïque avec un CfD qui prend en compte le prix du marché de l’électricité et cela fonctionne très bien.

PS : Le stockage inter-saisonnier qui se développe en Allemagne, pourrait-il avoir des applications en France ?

RL : Oui, clairement et sous plusieurs formes. SOCOL vient de publier un premier guide sur le stockage de chaleur solaire, qui investigue les différentes solutions. Le stockage inter-saisonnier est un « game changer » pour notre secteur, afin de profiter de l’abondance solaire estivale toute l’année et combiner les autres sources de chaleur renouvelable et de récupération, ainsi que les surplus d’électricité sur le marché. Il y a des synergies importantes avec la géothermie qui peuvent se créer, pour une optimisation énergétique et économique des opérations.

 

 

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