Mission Lévy–Tuot, un éléphant dans la pièce

Voilà une nouvelle affaire qui secoue le landernau du monde renouvelable. Alors que la publication de la PPE attendue en décembre ou début janvier, si le gouvernement ne vacille pas entretemps, joue le remake du Déserts des Tartares, cette œuvre symbole de la fuite vaine du temps et de l’attente éternelle, le Premier ministre Sébastien Le Cornu vient de confier à Jean-Bernard Lévy, Président du Conseil Français de l’Energie et ancien PDG d’EDF, et à Thierry Tuot, Conseiller d’État et ancien Directeur général de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), une mission sur l’optimisation des soutiens publics aux énergies renouvelables électriques et au stockage d’électricité afin de tenir dans la durée les objectifs climatiques de la France.
La raison de cet énième audit : toujours la même, sempiternelle. Ces filières (éolien et solaire) bénéficient depuis plusieurs années de dispositifs de soutien financés par le budget de l’État. Dans un contexte budgétaire exigeant et face à la maturité croissante des filières, la mission aura pour objectif de proposer un modèle de soutien plus efficace, plus soutenable et mieux partagé entre acteurs publics et privés. Elle examinera notamment la répartition des risques entre l’État et les producteurs, ainsi que les leviers de financement mobilisables par le secteur privé. Rien de nouveau ! La mission proposera in fine des pistes d’amélioration concernant le stockage d’électricité et les moyens de flexibilité, éléments essentiels pour la stabilité du système électrique et l’efficacité de la dépense publique. Les conclusions sont attendues dans un délai de trois mois. A noter que Matignon a bien stipulé qu’« il n’y a aucune conditionnalité entre la mission et la programmation pluriannuelle de l’énergie. La PPE définit l’horizon stratégique et les volumes de production ; la mission Lévy-Tuot traite des mécanismes de soutien aux seules ENR électriques. »
Plus que la mission, plus que les personnes, à savoir Jean-Bernard Lévy et Thierry Tuot, totalement légitimes quant à leurs compétences, c’est plutôt de placer un ancien PDG d’EDF en expert de cette mission bicéphale qui interroge. Il y a comme un éléphant dans la pièce selon l’expression consacrée. A cette annonce, Jules Nyssen qui a appris de manière un tantinet inattendue l’info par la presse – suite à une regrettable fuite – n’a pas mâché ses mots évoquant une provocation. Et le président du SER de mettre en balance les coûts des EnR et ceux prohibitifs du chantier de Flamanville bien connus de Jean-Bernard Lévy. Une réaction portée sous le coup de l’émotion peu appréciée par l’intéressé. Et Jules Nyssen de tempérer ses propos : « À la suite de mon post d’hier, j’ai eu l’occasion d’échanger avec Jean-Bernard Lévy pour lui dire que mon intention n’était pas de porter à son endroit une attaque ad-hominem et lui présenter mes excuses s’il l’avait pris comme tel, et je les formule publiquement ici. Je lui ai indiqué l’émotion ressentie par les filières ENR électriques de se voir une énième fois auditées alors qu’elles sont surveillance constante de la CRE et de la Cour des Comptes et se développent dans la plus grande transparence ». Il poursuit : « Je lui ai indiqué notre émotion d’apprendre cet audit par voie de presse, alors que nous essayons de maintenir une discussion franche et loyale avec le gouvernement, et de voir que la mission d’audit était confiée à un ancien PDG d’EDF, ce qui n’est pas le signe de la plus grande neutralité et qui demeure problématique ».
Dans son deuxième post, Jules Nyssen a également tenu à rendre hommage à Jean-Bernard Lévy pour son action pour le développement des renouvelables. « Pour avoir présidé EDF pendant cette période du chantier de Flamanville, Jean-Bernard Levy sait sans doute mieux que quiconque les coûts réels de la filière nucléaire, et c’est sans doute pour cela qu’il a en parallèle, au cours de ses fonctions, diversifié le groupe en poussant fortement l’investissement du groupe dans le secteur des énergies renouvelables, ce que tout le secteur lui reconnaît. » Une pirouette intelligente du président du SER, homme de lettres et d’esprit qui formule le vÅ“u que « la mission ne se limite pas à l’examen du coût de deux filières ENR, mais à l’analyse de la manière d’optimiser l’indispensable électrification de notre pays en mobilisant de manière diversifiée l’ensemble de nos atouts de production. Les pros des EnR ne doivent pas être les boucs émissaires dans un marché qui ne supporte plus la production, et c’est vrai pour tout le monde. » Dont acte !
Du côté d’Enerplan, Daniel Bour, son président, joue l’apaisement et prône pour une position commune dans la filière entre les Syndicats. Depuis plusieurs mois, Enerplan plaide par exemple pour un Observatoire des coûts des EnR et du nucléaire. « Nous avons besoin pour 2027 d’un document cadré et reconnu sur l’ensemble des coûts des filières énergie. Il faut aller dénicher les coûts dans les coûts ce qui pèse autour des EnR comme la fiscalité avec l’IFER, les S3REnR, la réglementation, les raccordements. Quand Marine Le Pen ne cesse de dire qu’il faut nous faire payer. Chacun doit prendre conscience des charges qui pèsent aussi sur nos entreprises. Pour l’heure, cette mission est un « one shot ». Nous espérons que ce sera l’occasion de lancer l’Observatoire » reconnaît Daniel Bour.

Parmi les écosystèmes solaires, Enerplan pousse l’autoconsommation solaire, pour une compétitivité au plus près des consommateurs. Mais le Syndicat travaille aussi le solaire compétitif incluant la flexibilité. « Notre objectif est de parvenir dans cette configuration de pilotage/stockage, un complément désormais indispensable, à des tarifs inférieurs à 70€ du MWh. Nous pouvons y arriver ensemble, pour autant que chacun y mette du sien. Vous savez le constat de RTE est sans appel. Les sous-capacités électriques coûtent beaucoup plus chers que les surcapacités. RTE ne réduit pas ses projections sur une année mais sur vingt ans et plus. Pour l’heure, nous avons juste un problème de stockage pour enfin dessiner une bonne courbe. L’équilibre est à trouver sur le moyen et long terme » analyse le président d’Enerplan.
Sur cette commission et son duo d’auditeurs, Daniel Bour calme le jeu et recentre son sujet sur la conjoncture actuellement tendue pour la filière solaire en France. Même si l’année 2025 sera certainement un très bon crû avec près de 6 GW installés, les mois à venir s’annonce plus compliqués avec des AO qui se font attendre. « Nous sommes en ce moment dans un moratoire de fait qui ne dit pas son nom. Nous vivons un grand désordre dans le monde de l’énergie avec cette absence de PPE qui pèse lourd Il y a beaucoup d’inquiétudes autour des volumes qui vont être attribués à nos filières, sur les délais des futurs appels d’offres et leur récurrence. La question de la temporalité est prégnante. Les macros, les grandes majors, peuvent attendre, les micros, nos PME, les entreprises qui font du développement et de la pose, ne peuvent pas vivre dans cette incertitude, avec des dégâts sociaux en corollaire. Nous devons être respectés. A nous certainement aussi d’être force de propositions » alerte Daniel Bour.

 

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