Projets EnR : état des lieux financiers et délais en matière d’autorisations administratives pendant l’état d’urgence sanitaire

Par Adrien Fourmon, avocat spécialisé en droit public et en énergies renouvelables et Christophe Jacomin, avocat associé au pôle Finance et en droit de l’énergie et des ressources naturelles, tous deux avocats chez Jeantet

La crise sanitaire actuelle et l’évolution du calendrier de l’état d’urgence sanitaire prorogé bouleversent l’organisation du développement des installations d’énergies renouvelables, entre difficultés d’approvisionnement, interruption et reprise des chantiers, poursuite de l’instruction des demandes d’autorisations administratives et des procédures d’enquêtes publiques, recours administratifs, et financement.

S’agissant du financement des projets d’énergies renouvelables, ceux-ci sont maintenus mais demeurent classiquement conditionnés à la réalisation d’audits juridiques préalables, pour s’assurer de leur bancabilité, de l’identification des risques, ainsi que de leur sécurisation. Or, le déblocage des prêts bancaires est en pratique conditionné par l’obtention et la purge des autorisations administratives nécessaires à la mise en œuvre desdits projets.

 

Si les énergies renouvelables sont considérées comme un secteur de la relance, l’activité de ce secteur ne semble pas avoir subi un fort ralentissement. Même si certaines opérations de construction ont pu ralentir ces deux derniers mois, la prolongation de l’état d’urgence sanitaire ne semble pas compromettre le financement des projets EnR en développement ou en voie d’achèvement et de mise en service.

 

 

Tout d’abord, à titre de rappel, la durée de l’état d’urgence sanitaire, initialement déclaré jusqu’au 23 mai 2020 par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 pour faire face à l’épidémie de covid-19 avait été prorogée jusqu’au 10 juillet inclus, par l’article 1er I. de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire.

 

Ainsi, le calendrier du déconfinement des autorisations administratives et ce cadre juridique particulier et évolutif applicable aux installations d’énergies renouvelables est donc complexe et nécessite une vigilance importante, afin de sécuriser les projets dont le parcours administratif n’est pas simplifié.

 

Après diverses mesures en matière de délais applicables aux autorisations administratives des installations d’énergies renouvelables, la récente ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d’urgence sanitaire publiée au Journal Officiel JORF n°0118 du 14 mai 2020 (l’« Ordonnance Délais Modificatifs ») est venue apporter des précisions importants en matière de délais relatifs aux autorisations administratives dont il convient d’évoquer ci-après.

 

Or, la question de l’articulation de cette prolongation de l’état d’urgence sanitaire avec l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période (l’« Ordonnance Délais ») se pose, celle-ci prévoyant un ensemble des mesures de neutralisation des délais applicables aux autorisations administratives, notamment des délais d’instruction et de recours qui se calaient sur la fin de l’état d’urgence sanitaire.

 

Les spécificités des délais applicables aux installations d’énergies renouvelables en matière d’urbanisme

 

Pour ce faire, dans le secteur de l’urbanisme notamment et concernant notamment les installations photovoltaïques, l’ordonnance n° 2020-539 du 7 mai 2020 fixant des délais particuliers applicables en matière d’urbanisme, d’aménagement et de construction pendant la période d’urgence sanitaire (l’« Ordonnance Délais Particuliers d’Urbanisme ») est intervenue afin de permettre de relancer plus rapidement le secteur de l’immobilier. A cet effet, l’Ordonnance Délais Particuliers d’Urbanisme a déconnecté la reprise des délais liés à l’instruction des dossiers de permis de construire et d’aménager, des déclarations préalables, des certificats d’urbanisme ainsi que les procédures de récolement de la fin de l’état d’urgence sanitaire, en fixant, de manière dérogatoire, la date de reprise au 24 mai 2020. Les délais de recours en la matière ont donc recommencé à courir également à partir de cette même date.

 

Ainsi, les délais de recours contre les permis de construire nécessaires à la construction des installations d’énergies renouvelables ont repris dès le 24 mai 2020.

 

Néanmoins, il n’est pas prévu d’équivalent en matière d’autorisations environnementales pour l’exploitation d’ICPE (Installation Classée pour la Protection de l’Environnement).

 

Cette dernière Ordonnance Délais Particuliers d’Urbanisme n’envisageait pas toutes les situations, comme par exemple pour les délais de recours contre les ICPE, tel que les parcs éoliens, et les installations de méthanisation ou de biomasse, qui restent soumis au régime général de l’article 2 de l’Ordonnance Délais disposant qu’un tel délai de recours pendant la période d’état d’urgence sanitaire « est réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ».

 

Autrement dit, tant que le délai de recours contre une autorisation applicable à une installation d’énergies renouvelables n’est pas échu, il difficile de considérer le projet bancable et de lancer les opérations de construction sur la base d’un financement sans recours.

 

Les apports de l’Ordonnance Délais Modificatifs en matière environnementale

 

L’Ordonnance Délais Modificatifs intervient pour modifier l’Ordonnance Délais dans son article 1er afin de fixer la période dite juridiquement « protégée » du 12 mars 2020 au 23 juin 2020 inclus. Ainsi, l’Ordonnance Délais dans son article 1er modifié dispose désormais que :

 

« I. ‒ Les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus. »

 

L’Ordonnance Délais Modificatifs supprime toute référence à la notion de la cessation de l’état d’urgence pour désormais fixer une date limite de prorogation au 23 juin 2020 inclus. Il en est de même pour les délais échus : la période juridiquement protégée prendra également fin le 23 juin 2020 inclus.

 

Ainsi, en l’état de ces dispositions, la durée de l’état d’urgence sanitaire court du 24 mars au 10 juillet 2020 inclus, tandis que la période juridiquement protégée court du 12 mars au 23 juin 2020 inclus.

 

Ainsi, la période de référence prise en compte pour l’autorisation environnementale en matière d’ICPE s’achève-t-elle désormais au 23 juin inclus, avec une reprise des délais contentieux à cette même date.

 

En outre, l’article 1er, 2° de l’Ordonnance Délais Modificatifs modifie l’article 3 de l’Ordonnance Délais afin de prolonger d’un mois le délai des mesures administratives ou juridictionnelles dont le terme vient à échéance pendant la période juridiquement protégée, l’amenant à 3 mois à compter du 24 juin 2020 (au lieu de 2 mois).

 

Pour rappel, l’article 3 de l’Ordonnance Délais porte sur :

 

« 1° Mesures conservatoires, d’enquête, d’instruction, de conciliation ou de médiation ;

2° Mesures d’interdiction ou de suspension qui n’ont pas été prononcées à titre de sanction ;

3° Autorisations, permis et agréments ;

[…] ».

 

Par conséquent, pour éviter à ces mesures administratives d’échoir le 23 août 2020, le délai des autorisations administratives en matière environnementale dont le terme viendrait à échéance pendant la période juridiquement protégée est désormais prorogé jusqu’au 23 septembre 2020 inclus, permettant aux porteurs de projets d’accomplir leurs démarches et formalités nécessaires jusqu’au courant du mois de septembre prochain.

 

Signalons par ailleurs, pour les enquêtes publiques que l’Ordonnance Délais Modificatifs prévoit une reprise des délais au 30 mai inclus.

 

On soulignera enfin que selon le rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance, il était « nécessaire de réexaminer la pertinence de la référence glissante que constitue la fin de l’état d’urgence sanitaire » compte tenue de la reprise progressive de l’activité économique au 11 mai, sachant que « l’allègement du confinement permettra aux opérateurs économiques de procéder aux actes et formalités prescrits par la loi » ; et que c’est « dans un souci de sécurité juridique » que « le choix a été fait de retenir la date du 23 juin à minuit, car elle correspond à la date qu’avaient anticipée tous les acteurs, compte tenu des dispositions de l’article 4 de la loi d’urgence précitée qui avait déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois, soit jusqu’au 23 mai minuit, et de la définition de la période juridiquement protégée par l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 ».

 

Impact sur l’achèvement et la mise en service des installations d’énergies renouvelables 

 

En matière d’énergies renouvelables plus spécifiquement (ci-après « EnR »), le Ministère de la transition écologique et solidaire a précisé, dans un courrier en date du 15 mai 2020 adressé à EDF, que s’agissant des délais forfaitaires devant être accordés pour les EnR en raison des retards possibles dus notamment à la réalisation des études environnementales et à l’obtention des autorisations administratives conformément à l’Ordonnance Délais :

 

« La date prévue initialement pour permettre un achèvement ou une mise en service de l’installation, selon ce que prévoit la réglementation ou le cahier des charges applicable, est augmentée de sept mois ».

 

A noter par ailleurs, que la Ministère a précisé que pour les installations dont la puissance nominale est supérieure à 200MW, il n’est pas accordé de délais forfaitaires compte tenu de leur importance pour la sécurité d’approvisionnement, mais « des délais pourront être accordés au cas par cas par la ministre de la transition écologique et solidaire si les impacts liés à l’épidémie de COVID-19 le justifient, sous réserve des dispositions de la réglementation, du cahier des charges et du contrat d’achat ».

 

Selon ce courrier du Ministère de la transition écologique et solidaire du 15 mai 2020, ce délai forfaitaire de 7 mois ne s’appliquera donc qu’à certaines installations EnR dites « éligibles », qui sont les installations qui remplissent les 3 critères cumulatifs suivants :

 

La transmission de l’attestation de conformité ou l’achèvement de l’installation en question devait intervenir après le 12 mars 2020 inclus ;

 

Si ce premier critère d’« éligibilité » prévoit que les projets bénéficiant d’un délai supplémentaire sont ceux dont « la transmission de l’attestation de conformité ou l’achèvement de l’installation devait intervenir après le 12 mars 2020 inclus », il n’est pas fait référence à une disposition réglementaire particulière, laquelle mériterait d’être précisée afin de sécuriser la procédure applicable.

 

Le dispositif de soutien a été acquis, par une demande complète de contrat d’achat ou une notification de lauréat dans le cadre d’appel d’offres, avant ou pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus ;

 

La puissance nominale de l’installation est strictement inférieure à 200 MW.

 

Cependant, face à certaines imprécisions de ces critères, la DGEC a pu préciser au Syndicat des énergies renouvelables (SER) que la date du 12 mars mentionnée dans ce courrier serait la date de transmission de l’attestation de conformité ou d’achèvement de l’installation permettant de bénéficier de la durée complète du contrat (et le cas échéant du niveau de rémunération proposé), selon l’arrêté tarifaire du 9 mai 2017 pour l’énergie solaire photovoltaïque, ou selon le cahier des charges de l’appel d’offres associé.

 

D’autres incertitudes subsistent à ce stade, notamment s’agissant de la notion de date de réalisation « initialement prévue », que ce soit :

-        pour le premier alinéa des critères d’éligibilité, soit pour les projets dont « la transmission de l’attestation de conformité ou l’achèvement de l’installation devait intervenir après le 12 mars 2020 inclus » ou

-        pour le délai supplémentaire de 7 mois accordé selon la « date [d’achèvement ou de mise en service] initialement prévue ».

 

A ce titre, la DGEC a également pu indiquer au SER que les délais supplémentaires habituels donnés, en cas de retards dans les travaux de raccordement par exemple,

-        permettaient bien à un projet de satisfaire le critère d’éligibilité précité si la date d’achèvement ou de mise en service prorogée se situait après le 12 mars,

-        s’ajoutaient bien au délai supplémentaire de 7 mois.

Ce délai forfaitaire de 7 mois supplémentaire et les clarifications attendues s’agissant des critères d’éligibilité devraient permettre de sécuriser des projets EnR en voie d’être achevés et mis en service et de ne pas compromettre leur financement.

 

Mise à jour des calendriers des appels d’offres

 

Enfin, s’agissant du développement de nouveaux projets, après l’annonce faite par Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire, du décalage des périodes d’appels d’offres (AO CRE) annoncées le 1er avril, on notera que la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) a publié, le 29 mai 2020, une mise à jour du cahier des charges concernant l’AO photovoltaïque dit “Fessenheim”.

 

Ainsi, les dates de la 3e période de cet AO ont été modifiées avec une date limite de remise des offres reportée au 30 septembre, conformément à l’annonce de la Ministre de la transition écologique et solidaire du 1er avril dernier.

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