Point de vue/Solaire photovoltaïque : la crise comme accélérateur de développement ?

Par Marie BUCHET, Responsable Solaire, Head of Solar Power & Solar Heat du Syndicat des Energies Renouvelables (SER)

 

La filière solaire européenne se trouve à un moment charnière. Le contexte de très fortes tensions engendrées par l’invasion de l’Ukraine par la Russie est venu rappeler l’enjeu crucial que représente la souveraineté française et européenne en matière énergétique. Le besoin d’augmenter la production d’électricité bas-carbone n’a jamais été aussi élevé pour s’affranchir des combustibles fossiles, en particulier russes. Les énergies renouvelables sont en effet les seules sources d’énergie décarbonée capables d’être déployées rapidement. Par ailleurs, le dernier volet du sixième rapport du Giec, paru début avril, rappelle l’urgence et l’importance de développer au plus vite les énergies renouvelables et, notamment, l’électricité photovoltaïque.

 

Au niveau européen, la machine est lancée : la Commission européenne multiplie les initiatives pour déployer la filière. En janvier déjà, elle avait organisé deux consultations publiques. La première porte sur un projet de stratégie UE pour le solaire, qui sera publié au deuxième trimestre 2022. La seconde vise à préparer les orientations de la Commission en vue d’améliorer les procédures d’octroi de permis (longueur, complexité des règles et des procédures relatives à la sélection des sites et aux autorisations administratives, problèmes de raccordement au réseau, etc.) pour déployer les énergies renouvelables. Le document d’orientation devrait être publié le 18 mai prochain.

 

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, elle a également annoncé un plan « REPowerEU » qui a pour objectif de réduire la dépendance de l’Europe à l’égard du gaz russe de deux tiers cette année. La Commission européenne propose une cible de 420 GW d’électricité photovoltaïque en 2030, contre les 383 proposés dans l’étude d’impact de la Directive Energies Renouvelables. Cela permettrait d’économiser près de 80 milliards de m3 de gaz, soit plus de la moitié de la dépendance annuelle de l’Europe au gaz russe (155 mmc). La Commission vise également l’installation de l’équivalent de 15 TWh supplémentaires d’installations photovoltaïques sur bâtiments cette année, donnant à l’UE les moyens d’économiser 2,5 milliards de m3 de gaz. Selon l’organisation professionnelle SolarPower Europe, l’UE pourrait atteindre une capacité solaire d’un térawatt d’ici 2030 si le cadre approprié est mis en place. Les Etats membres multiplient également les annonces : le gouvernement allemand souhaite augmenter les volumes d’appels d’offres d’environ 6 GW en 2022 à 22 GW à partir de 2026. En France, le Président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé à Belfort la multiplication par dix de la puissance installée d’ici 2050, pour atteindre environ 120 GW.

 

L’actualité remet en exergue la nécessité de parvenir à l’indépendance en matière d’énergie. Le plan RePowerEU promeut une réindustrialisation de la production photovoltaïque, en mobilisant le fonds InvestEU. D’autres initiatives fleurissent partout en Europe. Le programme industriel “Initiative solaire européenne”, que SolarPower Europe a lancé en collaboration avec l’Institut européen d’innovation et de technologie (EIT) InnoEnergy, vise à atteindre une capacité de production de 20 GW sur l’ensemble de la chaîne de valeur (polysilicium, lingots, wafers, et production de cellules et de modules photovoltaïques) d’ici 2025. Enel prévoit d’investir environ 600 millions d’euros dans l’expansion de son usine de fabrication de modules dans le sud de l’Italie (la Commission européenne ayant prévu de contribuer à hauteur d’environ 118 millions d’euros à la somme totale). Le fabricant Aurinka projette de construire une usine de modules solaires de 300 MW dans la région d’Aragon, en Espagne. La start-up industrielle Carbon a annoncé un projet de gigafactory de panneaux photovoltaïques en France visant la production, dès 2025, de 5 GW de panneaux photovoltaïques, puis de 15 GW à partir de 2030.

 

Pour suivre ces développements, SolarPower Europe a publié une carte interactive indiquant la capacité de fabrication à travers le continent tout au long de la chaîne de valeur. Cependant, le contexte inflationniste et géopolitique actuel a un impact majeur qui menace la solidité financière et même, potentiellement, l’existence d’acteurs indépendants dont l’activité se concentre presque exclusivement sur le développement, la construction et l’exploitation de centrales photovoltaïques. Les coûts des matières premières et de l’énergie ont flambé dès le deuxième trimestre 2021 sous l’effet de la reprise post Covid, induisant d’importants problèmes d’approvisionnement. Depuis 2022, alors que la filière s’attendait à un retour à la normale, les phénomènes ont, au contraire, été accentués par la guerre en Ukraine et le redémarrage du Covid en Chine.

 

De nombreux projets solaires sont aujourd’hui en danger du fait de l’augmentation des coûts de construction et des conditions de financement. Pour certains d’entre eux, la situation devient urgente car les entreprises intervenant sur les chantiers en cours sont dans l’impossibilité d’absorber ces nouveaux coûts. C’est pourquoi, le SER a travaillé à une série de propositions qui visent toutes à améliorer rapidement la situation. Ainsi, il propose, notamment, la mise en place d’un dispositif de traitement accéléré des instructions pour les projets les plus matures, la déclaration des projets comme « projets d’intérêt public majeur », un accès facilité au foncier, ou encore un dispositif d’indexation du niveau de soutien sur les indices des matières premières. La crise que nous traversons constitue à la fois un frein et un tremplin pour la filière solaire. Les prochaines semaines permettront de trancher : le nouveau gouvernement prendra-t-il les mesures qui s’imposent en ces temps décisifs ?

 

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