Les changements climatiques parmi les trois grands défis économiques, par la commission internationale Blanchard-Tirole

La lutte contre la pandémie mondiale ne doit pas occulter l’action face à trois grands défis auxquels notre société est confrontée : la lutte contre le réchauffement climatique, la réduction des inégalités, et l’adaptation au vieillissement de la population. C’est pourquoi le Président de la République avait demandé, en mai 2020, à 26 économistes de réfléchir en profondeur à la dimension économique de ces trois défis, afin de proposer un cadre d’analyse et des idées nouvelles. La commission sur Les grands défis économiques a ainsi travaillé en toute indépendance pendant plus d’un an, sous l’égide d’Olivier Blanchard et de Jean Tirole, avec l’appui de France Stratégie. Focus sur les changements climatiques !

 

La Commission tire de ses analyses un éclairage nouveau, et des recommandations pertinentes pour la France et d’autres pays comparables. Elle estime que beaucoup a été fait, mais qu’il faut aller encore plus loin, afin de surmonter efficacement les trois défis majeurs que constituent le climat, les inégalités et la démographie. Ses travaux ont abouti à ce rapport remis au Président de la République, simultanément publié sur le site de France Stratégie. Il s’agit d’un bien public, qui a vocation à éclairer le débat relatif à ces trois enjeux sur des bases objectives et scientifiques.

 

Le changement climatique : l’heure est venue d’agir

 

Les travaux du GIEC ont mis en évidence le rôle des activités humaines dans le dérèglement climatique et l’importance d’agir dès maintenant pour limiter la hausse des températures en deçà de 2°C par rapport à l’ère préindustrielle. Dans cette perspective, et suite à la signature de l’accord de Paris en 2015, la France s’est fixé l’objectif d’être neutre en carbone à horizon 2050. En s’engageant aujourd’hui sur des politiques ambitieuses et en posant des jalons clairs et crédibles, la France et l’Europe peuvent jouer un rôle de leader de l’action climatique internationale. Les travaux de la commission, rapportée par Mar Reguant, professeure agrégée en économie à l’université de Northwestern, Illinois, et Christian Gollier, professeur et directeur général de Toulouse School of Economics (TSE), ont abouti à la formulation d’un cadre d’analyse et de propositions pour accélérer l’atteinte de ces objectifs.

 

L’urgence appelle une action rapide

 

Nos points de vue sur l’enjeu climatique se fondent sur quatre observations. Premièrement, l’urgence climatique appelle une action rapide et de grande ampleur. Le rythme de la transition doit être fortement accéléré. Deuxièmement, le défi auquel nous faisons face implique d’adopter une approche globale. Troisièmement, s’il est vrai que la mise en œuvre de mesures écologiques entraînera des coûts importants, la nécessité de sauver notre planète doit nous inciter à admettre cette vérité : plus nous procrastinons, plus le coût sera élevé. Quatrièmement, il est inutile d’augmenter ce coût en adoptant des mesures peu efficaces. La tarification du carbone présente de nombreux avantages. Impopulaire pour de bonnes comme de mauvaises raisons, elle n’en est pas moins un élément indispensable de la stratégie. Dans le passé, elle n’a pas été mise en œuvre correctement : elle était trop peu ambitieuse pour obtenir les effets désirés, prévoyait de nombreuses exonérations, permettait de multiples subventions aux combustibles fossiles, suscitait des craintes de délocalisation dans les pays pratiquant le dumping environnemental et offrait peu de visibilité sur l’évolution des prix du carbone. La trop faible indemnisation des ménages périurbains et ruraux à faible revenu a également contribué à son impopularité. Ainsi, nous approuvons sans réserve l’idée d’une « tarification du carbone bien conçue », qui constitue notre première recommandation.

 

Des efforts dans la R&D

 

Cependant, la tarification du carbone ne suffira pas. Tout d’abord, il est nécessaire d’intensifier rapidement les efforts en matière de R & D dans le domaine de l’écologie. Il faut en outre mettre en place des normes, des interdictions et des mesures incitatives dans les secteurs qui ne se prêtent pas à une tarification du carbone. Plus discrétionnaires que cette dernière, ces actions sont davantage susceptibles de provoquer des interventions de groupes de pression, des captations réglementaires et des lourdeurs administratives. Nous avons expliqué comment la bonne gouvernance des processus et la création d’organismes indépendants peuvent dissiper ces craintes. Dans le domaine de la recherche et développement, nous suggérons la création d’un organisme européen, EU-ARPA-E, qui financerait des projets à haut risque et à haut potentiel en se fondant sur un processus d’évaluation par les pairs. En ce qui concerne les normes, les interdictions et les mesures incitatives ciblées, nous proposons la création d’une commission indépendante constituée de scientifiques et économistes de haut niveau, qui contribuerait à la rationalisation des choix des gouvernements sans ralentir leur prise de décision. Dans les deux cas, la présence d’une clause d’extinction permettrait de mettre fin aux subventions lorsque celles-ci ne sont plus nécessaires ou lorsque les projets ne fonctionnent pas.

 

Montrer l’exemple par une attitude exemplaire

 

En conclusion, nous considérons l’État comme un stratège qui assumera ses responsabilités (sans essayer de s’en décharger sur d’autres acteurs, tels que les banques centrales ou les entreprises), stimulera l’adoption de mesures et l’innovation dans le secteur privé et conciliera la nécessité urgente d’agir avec la maîtrise des coûts. Enfin, la France à elle seule n’aura pas une grande incidence directe sur l’atténuation du changement climatique. Toutefois, son influence indirecte peut être considérable, surtout si elle est pensée à l’échelle européenne. Elle peut adopter une attitude exemplaire et montrer que des progrès peuvent être accomplis, exercer une pression sur les pays laxistes au moyen de l’ajustement fiscal aux frontières, promouvoir des innovations technologiques et des mesures novatrices qui bénéficieront aux pays pauvres et jouer un rôle intellectuel majeur dans l’élaboration d’accords internationaux. La route sera longue et sinueuse, mais nous sommes persuadés qu’avec une stratégie bien conçue, nous atteindrons nos objectifs.

 

La production d’électricité devra provenir de sources non carbonées

 

Pour ces économistes, la production d’électricité doit subir une transformation quantitative comme structurelle. D’une part, il sera nécessaire de produire beaucoup plus d’électricité pour répondre à la demande croissante due à l’utilisation de véhicules électriques, aux bâtiments écologiques (dotés de pompes à chaleur, par exemple) et à la production d’hydrogène vert (qui utilise de l’énergie exempte de CO2 pour alimenter l’électrolyse qui décompose l’eau en hydrogène et en oxygène) pour les transports et les processus industriels à très haute température. La production, la distribution et le transport d’électricité seront ainsi soumis à une forte pression. D’autre part, la majeure partie de l’électricité devra provenir de sources non carbonées. Si cet objectif est déjà presque atteint en France, ce n’est pas le cas dans le reste de l’Europe. La transition doit par conséquent faire l’objet d’une vraie réflexion. Nous avons mentionné plus haut la sortie rapide du charbon, qui n’entraînera pas de forte hausse du prix de l’électricité pour les consommateurs.

 

« Not in my backyard »

 

Si les énergies renouvelables doivent être largement déployées, il est possible que leur coût total reste élevé en raison de problèmes d’équilibre du système électrique et de transport d’électricité. Tout d’abord, les sources d’énergie renouvelable sont intermittentes. Ainsi, en l’absence de batteries ou d’autres moyens de stockage peu onéreux, elles doivent être complétées par d’autres moyens de production qui, s’ils sont à forte intensité de carbone, risquent d’annuler tous les bénéfices écologiques des énergies renouvelables. Par ailleurs, en Europe, les meilleures ressources éoliennes sont situées au nord, en particulier en mer, tandis que les meilleures ressources solaires se trouvent au sud. Le transport d’électricité verte entre son lieu de production et son lieu de consommation présente des difficultés pour les réseaux à haute tension, liées aux considérations économiques comme aux réactions de type « pas dans mon jardin ». Le problème s’est déjà posé en Allemagne : alors que les parcs éoliens sont situés dans le nord du pays, une grande partie de l’électricité est consommée dans le sud. Or, entre les deux régions, le réseau de transport d’électricité à haute tension a des capacités limitées, insuffisance qui a parfois conduit à remplacer l’énergie éolienne produite dans le nord par de l’électricité produite dans le sud à partir de combustibles fossiles.

 

Des panneaux solaires en Afrique du Nord pour l’Europe

 

Ce problème se posera de plus en plus à l’avenir, au fur et à mesure que les énergies renouvelables prendront de l’ampleur. En ce qui concerne l’énergie solaire, dont l’exploitation, comme celle de l’énergie éolienne, a fait l’objet de progrès technologiques spectaculaires ces dix dernières années, il semble bien plus pertinent d’installer des panneaux photovoltaïques en Andalousie ou en Afrique du Nord que dans le nord de la France ou encore plus au nord ; mais cela nécessite de résoudre le problème du transport haute tension vers l’Europe de l’électricité produite en Andalousie ou en Afrique du Nord. En plus de leur impopularité, les lignes de transport à haute tension posent un autre problème : leur développement en Europene peut se faire sans que les propriétaires de réseaux et les fournisseurs acceptent de coopérer malgré leurs intérêts divergents. L’une des solutions, suggérée depuis longtemps, consisterait à mettre en place un système de transport et de distribution d’électricité commun au niveau européen, qui permettrait l’instauration d’un marché de l’électricité unique en Europe et faciliterait ainsi le déploiement des énergies renouvelables. Nous soutenons cette initiative de création d’un véritable marché paneuropéen de l’énergie. Enfin, notons que la capacité des réseaux peut être augmentée sans construire de nouvelles lignes, par exemple en installant des capteurs qui permettent de faire passer plus de courant sur une ligne sans craindre une rupture de cette ligne.

www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-rapport-les_grands_defis_economiques-juin_0.pdf

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