Interview Laetitia Brottier : « L’autoconsommation d’électricité solaire, une source de valeur qui va révéler son plein potentiel »

ENERPLAN organise les 12 et 13 septembre 2019 la 2e Université d’été dédiée à l’autoconsommation d’électricité solaire. Pour le syndicat des professionnels du solaire, cette dernière va devenir le principal facteur du développement du PV dans le bâtiment à moyen terme, avec l’avènement de la parité réseau et l’aspiration des citoyens pour une consommation plus locale et respectueuse de l’environnement. On fait le point avec Laetitia Brottier, vice-présidente en charge du photovoltaïque dans le bâtiment, d’Enerplan.

Plein Soleil : Où en est-on en France en termes d’autoconsommation et notamment par rapport à d’autres pays du monde ?
Laetitia Brottier : Nous sommes en retard, derrière les allemands, les italiens, les espagnoles et même les belges. Notre confrère espagnol vient à Paris partager la « movida solaire » que vit le marché solaire espagnol avec l’autoconsommation. Le génie français légifère, puis laisse la technostructure freiner ce qui devait accélérer pour préserver un mythique système électrique centralisé. Certains ont joué à faire peur avec le « tsunami » de l’autoconsommation et son potentiel effet disruptif. Au final en France, si le marché de l’autoconsommation avec vente du surplus est devenu « la norme » dans le résidentiel, la contagion est beaucoup plus lente pour les autres segments de marché. Et l’autoconsommation collective n’est pas encore un marché, nous déployons juste quelques démonstrateurs.

« Considérer l’autoconsommation comme une économie d’énergie »

PS : Quelles sont les freins à l’autoconsommation ?
LB : Les freins sont culturels, administratifs et financiers. La caricature du frein culturel, c’est la question de considérer ou pas l’autoconsommation PV comme une économie d’énergie. Ce qui est une qualité reconnue à la chaleur solaire ou aux systèmes thermodynamiques, ne l’est pas pour les électrons solaires autoconsommés. Comme s’il y avait la bonne et la mauvaise économie d’énergie, l’autoconsommation classée dans cette dernière catégorie. Nous en sommes rendus à attendre une étude de l’ADEME commandée par le ministère au printemps dernier, pour savoir si l’autoconsommation est une économie d’énergie. D’aucuns veulent étudier s’il n’y aurait pas un effet rebond, alors que l’on n’a jamais étudié si l’on restait plus longtemps sous une douche solaire, ou si l’on n’augmentait pas sa température de confort d’1 ou 2° avec une pompe à chaleur… Ainsi donc en France, l’autoconsommation est culturellement suspecte aux yeux de nombreux décideurs, une suspicion qui la prive de certificats d’économie d’énergie. Le frein culturel se transforme ainsi en handicap financier. Concernant l’autoconsommation individuelle, avec le cadre fiscal qui s’est récemment précisé pour le tiers investisseur, le principal frein est administratif. Faire une demande de raccordement pour vendre son surplus est fastidieux alors que de nombreuses simplifications sont possibles. Il faut obligatoirement vendre son surplus à EDF OA avant de pouvoir par la suite changer d’acheteur, ce qui ne favorise pas l’animation du marché par les acheteurs volontaires pénalisés par une position de monopole injustifiée. Si le cadre administratif pour l’autoconsommation individuelle pourrait être considérablement amélioré, au moins celle-ci bénéficie-t-elle d’un soutien public financier, à la fois de façon explicite (via l’arrêté tarifaire ou l’appel d’offres) et implicite (avec la non-taxation de l’électricité autoconsommée). Cela n’est pas le cas de l’autoconsommation collective, qui ne bénéficie au niveau national d’aucune aide, explicite ou implicite. Il faut compter sur le soutien financier des régions via des appels à projets, cela alors que ce type d’opération est lourd administrativement à monter. Bref, nous sommes loin d’avoir industrialisé les procédures de montage et de pilotage de projets en autoconsommation collective, alors qu’ils sont des maillons clés du réseau électrique intelligent.

PS : Que faudrait-il faire pour la développer davantage ?
LB : Considérer l’autoconsommation d’électricité solaire comme une source d’économie d’énergie, afin de pouvoir bénéficier de l’effet de levier financier privé des CEE. Simplifier le cadre administratif en retirant les freins et cadrer durablement l’exonération de taxes sur l’électricité autoconsommée de façon individuelle ou collective.

Autoconsommation collective : un modèle vertueux

PS : Le stockage est-il aujourd’hui une bonne idée pour accroitre le taux d’autoconsommation ou demeure-t-il trop cher ?
LB : Je remarque que l’industrie de la batterie électrique a fait d’énormes progrès de compétitivité ces dix dernières années, relativement semblables à ceux réalisés par l’industrie PV, et que ces progrès vont continuer avec les giga-factory qui se montent dans le monde.
Je note que si l’opportunité d’investir dès à présent dans du stockage stationnaire afin d’améliorer son taux d’autoconsommation peut se discuter, nous pouvons déjà directement profiter du stockage thermique (sous forme d’eau chaude dans un ballon) ainsi que du stockage électrique avec les batteries sur roues que sont les véhicules électriques. Enfin, je relève qu’avec les investissements massifs de l’industrie automobile qui est en train d’électrifier ses modèles pour réduire les émissions de CO2 du secteur des transports, les batteries neuves coûteront toujours moins cher et que nous allons par ailleurs bénéficier de la seconde vie des batteries de véhicule électrique, transformées en autant de solutions de stockage stationnaire, avec des GWh à coût marginal.
En bref, oui le stockage est une excellente idée, que l’on devrait voir prospérer dans les zones françaises non interconnectées, où l’on préfère subventionner les émissions de CO2 des centrales thermiques que l’autoconsommation avec stockage pourtant moins chère pour la continuité territoriale. Je reviendrai plus longuement sur la convergence entre autoconsommation et électro-mobilité, c’est un facteur essentiel qui va jouer le rôle d’accélérateur du marché solaire.

PS : Quid de l’autoconsommation collective ? N’est-elle pas la solution ultime pour voir enfin le solaire disséminer à grande échelle ?
LB : L’autoconsommation collective est une bonne intuition législative de 2015, qui a défini dans le droit français le concept de communauté locale d’énergie renouvelable apparu dans le corpus législatif européen en 2018. Nous étions donc précurseurs. Toutefois, nous pouvons constater que passer d’une intuition à la dynamique d’un marché n’est pas simple, surtout quand des acteurs se mobilisent pour que le concept ne prospère pas trop vite. A date, nous avons moins de 20 opérations d’autoconsommation collective mises en service. C’est pourtant un modèle vertueux, où le circuit court des électrons solaires paye sa contribution au réseau électrique de distribution, où le foisonnement des consommations avec une diversité de profils permet de tout autoconsommer localement, où le stockage mutualisé peut s’envisager afin d’apporter plus de flexibilité au système électrique, où l’on peut imaginer de nouvelles solidarités locales pour réduire l’intensité de la précarité énergétique… Gageons que ces vertus finissent par convaincre, et profitons du nouveau périmètre étendu à 1 km de rayon pour engager des opérations qui mobiliseront d’avantage de consom’acteurs et les collectivités locales. L’autoconsommation d’électricité solaire est une source de valeur qui va révéler son plein potentiel ».

Autoconsommation PV et électromobilité : le binôme gagnant

PS : Quel est l’apport aujourd’hui des technologies digitales et que peuvent-elles apporter au développement de l’autoconsommation ? Pouvez-vous développer votre notion de convergence entre autoconsommation et électro-mobilité ?
LB : Le numérique est au cœur de l’intelligence du réseau électrique, il est donc le compagnon de route naturel de l’autoconsommation, pour le pilotage des consommations, pour la répartition des flux, pour la gestion des flexibilités, et pour une meilleure anticipation de la prévisibilité des consommations comme de la production afin que la variabilité prévisible améliore la conduite du réseau électrique en réduisant ses pertes. Le numérique est aussi indispensable pour une gestion active des bornes de recharge électrique, nécessaire pour éviter/juguler de nouvelles contraintes en soutirage ou pour recharger prioritairement des véhicules quand le soleil brille. En France, on n’a pas de pétrole, mais du soleil et des idées !
Ainsi, autoconsommation PV et électromobilité ont parties liées, et la convergence entre ces deux secteurs va s’accentuer. Partons d’une réalité physique, 1 m² de PV en France génère assez d’électricité pour parcourir plus de 1000 km / an avec une voiture électrique. Si personne ne peut creuser un puits de pétrole au bout de son jardin avec une micro-usine de raffinage pour s’alimenter en essence/diesel. Rien n’est plus simple que d’installer une ombrière solaire de quelques m² à son domicile et/ou à lieu de travail, pour devenir quasiment autonome pour alimenter sa voiture en électrons solaires. Ainsi, l’autoconsommation PV va directement faire baisser les émissions de GES de la France, en substituant du pétrole importé carboné, par des électrons solaires récoltés localement.
Les bornes de recharge de VE pilotées vont devenir des parties prenantes importantes des opérations d’autoconsommation collective, où l’on fera coïncider la recharge avec les périodes d’ensoleillement, pour maximiser le taux d’autoconsommation et limiter le soutirage non solaire pour les véhicules. Et l’ajout d’une batterie stationnaire à la borne de recharge pilotée, permettra d’offrir un service de recharge plus rapide sans stresser le réseau. Nous allons également voir apparaître une nouvelle génération de véhicules électriques, capable de rendre des services au réseau ou de fournir de l’électricité aux bâtiments à la pointe du soir par exemple. Nous voyons que les enjeux pour le réseau électrique sont stratégiques, et que le déploiement concomitant de l’autoconsommation et de l’électromobilité va révéler des avantages d’intérêt général substantiels.

PS : Qu’attendez-vous de votre université d’été ?
LB : ENERPLAN et ses partenaires et sponsors – ADEME, AMORCE, Avere-France, CONSUEL, Enedis, Engie, Enphase, FNCCR, Gimelec, GRDF, Qualit’EnR, SERCE, Soprasolar – souhaitent un nouveau succès, avec une édition inspirante qui engagera une dynamique créatrice de valeur au niveau décentralisé et contribuera à concrétiser de nombreux projets. A cette fin, l’édition 2019 de notre Université d’été innove. La session plénière en amphithéâtre sur deux jours avec huit tables rondes, permettra d’aborder tous les aspects structurants de l’autoconsommation photovoltaïque. Et en parallèle de la plénière au 4ème étage, se déroulera « l’Atelier des solutions » animé par les meilleurs experts dans un espace propice à l’esprit ” The sky is the limit “, afin que les participants puissent concrétiser leurs projets (1er jour) et se remuer les méninges (2e jour).

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