Dieselgate chez Tesla : la marque américaine surestime ses émissions évitées selon une étude de Greenly

Une étude indépendante menée par Greenly, spécialiste de la mesure et de la gestion de l’empreinte carbone, remet en question l’affirmation de Tesla en 2023 selon laquelle ses véhicules auraient permis d’éviter l’émission de 20 millions de tCO2e. Estimant que le chiffre réel serait inférieur de 28 à 49 %, Greenly souligne des inexactitudes dans le modèle d’émissions de Tesla, et met en garde contre un manque général de transparence au sein de l’industrie des véhicules électriques.

 

Tesla demeure un acteur clé dans l’essor des véhicules électriques, représentant près de 50 % des ventes aux États-Unis et environ un véhicule électrique sur cinq vendu dans le monde en 2024. L’entreprise affirme avoir évité l’émission de 20 millions de tCO2e en 2023, soit près de 40 % des émissions totales de la Grèce cette année-là (51,67 millions de tCO2e). Toutefois, Greenly remet en question cette estimation, pointant une possible surestimation des émissions des véhicules thermiques et une sous-estimation des émissions liées à la production d’électricité pour les Tesla. Selon leur analyse, les émissions réellement évitées se situeraient plutôt entre 10,2 et 14,4 millions de tCO2e.

 

L’approche Tesla : enquête sur une méthodologie presque correcte décortiquée

 

Tesla affirme avoir évité 20 millions de tCO2e en 2023 en comparant les émissions de sa flotte de véhicules électriques à celles de modèles diesel équivalents. Greenly a vérifié cette estimation en analysant les ventes de Tesla depuis 2014 par pays, estimant une flotte mondiale de 5,35 millions de véhicules fin 2023. Cette évaluation prend en compte les variations du mix énergétique par région comme les États-Unis, en Europe, en Chine, et repose sur une hypothèse de 200 000 miles (321 868 km) parcourus en 17 ans (durée d’utilisation). Tesla calcule les émissions des véhicules thermiques et électriques en intégrant la consommation de carburant et d’électricité (3,8 km/kWh). Greenly reprend la supposition de Tesla que la fabrication d’un véhicule électrique émet 20 tCO2e contre 10 tCO2e pour un thermique. Ces émissions sont ensuite réparties sur leur durée de vie pour estimer les émissions annuelles.

 

Greenly a repris la méthode de Tesla pour estimer les émissions des véhicules thermiques, en supposant qu’un diesel émet 333 gCO2e par mile (selon le facteur de conversion britannique 2024 pour une grande voiture), ce qui aurait conduit une flotte équivalente à émettre environ 24,1 millions de tCO2e. Ce chiffre pourrait être sous-estimé, car il ne prend pas en compte les émissions liées à la fabrication. Pour évaluer les émissions réelles de la flotte Tesla, Greenly a utilisé les facteurs d’émission énergétique 2024 de l’Agence internationale de l’énergie (IEA). Selon cette analyse, les véhicules Tesla ont généré 13,9 millions de tCO2e en 2023, soit une réduction de seulement 10,2 millions de tCO2e par rapport aux modèles thermiques, bien en deçà des 20 millions annoncés par Tesla.

 

Surestimation des émissions des véhicules thermiques

 

La méthodologie de Tesla pour calculer l’impact écologique de ses véhicules repose sur la comparaison avec les modèles thermiques : plus ces derniers sont polluants, plus les émissions évitées semblent importantes. Or, la flotte thermique moyenne devient progressivement plus efficiente, tandis que les modèles anciens ou plus lourds affichent des facteurs d’émission plus élevés. Aux États-Unis, Tesla estime les émissions des véhicules thermiques à 445 gCO2e/mile, en se basant sur le Consumer Reports, plutôt que sur les données de l’EPA, pourtant référence en climatologie. En Europe, elle applique un facteur de 459 gCO2e/mile, qui semble surestimé par rapport aux 415 gCO2e/mile du Royaume-Uni pour une grande voiture diesel, soit une différence de 10 %. Cette méthodologie est particulièrement sensible aux variations du facteur d’émission des véhicules thermiques. Par exemple, si Greenly ajustait ce chiffre de 333 à 400 gCO2e/mile dans son propre scénario, les émissions évitées augmenteraient de 40 %, atteignant 14,4 millions de tCO2e. Ainsi, plus Tesla attribue un facteur d’émission élevé aux véhicules thermiques, plus elle peut revendiquer un volume important d’émissions évitées, ce qui a probablement contribué à son estimation de 20 millions de tCO2e.

 

Une sous-estimation des émissions du réseau électrique

 

L’empreinte carbone des véhicules Tesla dépend largement du réseau électrique qui alimente leur recharge : un mix énergétique dominé par les renouvelables réduit considérablement les émissions, tandis qu’un réseau fossile les alourdit. Comme Greenly, Tesla applique des facteurs d’émission variables selon les pays, mais la valeur qu’elle annonce pour les États-Unis (116 gCO2e/mile) semble largement sous-estimée. Selon les données de l’Agence internationale de l’énergie, Greenly estime ce chiffre à 206 gCO2e/mile, soit 78 % de plus.

Cette différence ne peut être justifiée par l’usage de l’énergie solaire, car Tesla intègre déjà un facteur distinct pour cette source (72 gCO2e/mile). Pourtant, l’entreprise ne détaille pas précisément sa méthodologie. Greenly suppose alors que l’ensemble des véhicules électriques sont rechargés via le réseau électrique conventionnel, l’empêchant de vérifier avec exactitude l’impact de l’énergie solaire sur les émissions de manière indépendante.

 

Kilométrage et émissions de fabrication

 

Les véhicules électriques émettent bien moins de CO2 en usage que les modèles thermiques, mais leur fabrication génère une empreinte carbone plus élevée. Leur impact environnemental s’améliore donc avec le temps : plus ils roulent, plus les émissions évitées augmentent. Dans ce contexte, les hypothèses sur le kilométrage total et les émissions liées à la fabrication jouent un rôle clé. Le scénario de base considère un usage de 200 000 miles (321 868 km) par véhicule, mais si cette valeur tombait à 150 000 miles (241 402 km), les émissions évitées par Tesla chuteraient de 10,2 à 6,9 millions de tCO2e, illustrant l’impact de cette variable. Par ailleurs, il reste incertain si Tesla prend en compte l’ensemble des émissions en amont, extraction des matières premières, production des batteries et assemblage des véhicules. Si ces émissions étaient exclues du calcul de Greenly, le gain carbone revendiqué grimperait de 10,2 à 13,4 millions de tCO2e, un résultat bien plus favorable à Tesla.

 

Un impact économique et politique de grande ampleur

 

Au-delà du risque de perte de confiance généralisée, ces résultats soulignent l’importance de méthodologies indépendantes et vérifiables pour mesurer l’impact réel des véhicules électriques, quel que soit leur fabricant. À une époque où des entreprises comme ExxonMobil sont accusées de diffuser des informations trompeuses sur le climat, de telles conclusions pourraient profondément ébranler l’industrie automobile. Si les constructeurs exagèrent systématiquement leurs émissions, cela rappellerait non seulement le scandale du Dieselgate, mais pourrait aussi entraîner un durcissement des réglementations pour l’ensemble du secteur. Couplée à la position hostile de l’administration Trump envers les énergies renouvelables, une perte de confiance dans les voitures électriques risquerait de freiner les investissements dans leur infrastructure, au moment même où la transition vers l’abandon des moteurs thermiques devient cruciale. « L’absence d’une méthodologie harmonisée constitue une lacune majeure dans l’industrie automobile. Notre objectif est de démontrer qu’un calcul précis et responsable est possible, permettant un audit tiers et une vérification indépendante. Nous espérons que les constructeurs suivront cet exemple afin de restaurer la confiance dans l’industrie et de ne pas perdre un temps précieux. Une comptabilité carbone rigoureuse est essentielle pour garantir l’efficacité des marchés du carbone » conclut Alexis Normand, CEO & cofondateur de Greenly.

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