Interview /Gaëtan Masson : « Nous vivons à l’heure actuelle une accélération incroyable de la demande pour le photovoltaïque »

Président de l’Institut Becquerel depuis 2014, Gaëtan Masson est présent dans le secteur du photovoltaïque depuis 2009. Fin observateur du monde de l’énergie, il nous livre ses impressions en cette rentrée sous tension. Sur le nucléaire, les renouvelables. Un contexte difficile dans lequel le solaire PV tire son épingle du jeu. Un entretien sans langue de bois ! 

Plein Soleil : Le monde de l’énergie vit une crise planétaire sans précédent. Comment analysez-vous la situation actuelle et les tensions induites ?

Gaëtan Masson : C’est un fait. Vladimir Poutine a réveillé tout le monde. Il nous montre combien la logique de globalisation complète de l’industrie mondiale nous impose des partenaires peu recommandables, notamment dans le monde de l’énergie. Notre dépendance à des pays loin de nos standards démocratiques pose plus que jamais question. La géopolitique s’invite enfin au banquet de nos approvisionnements énergétiques.

Favoriser le gaz, une attitude criminelle

PS : Comment en est-on arrivé là en Europe ?

GM : Nos trente dernières années ont été dramatiques en la matière en Europe. Et j’en veux pour preuve, s’il faut en mettre une en exergue, la création en 2013 du groupe Magritte, lobby gazier européen qui a pignon sur rue, qui avait pour objectif de tuer les renouvelables. Ce groupement très puissant a réussi en grande partie à bloquer le développement du solaire et de l’éolien en Europe œuvrant pour la mise en place d’objectifs flous des EnR à 2030 sans réelles contraintes. Magritte a, en revanche, imposé l’idée selon laquelle le gaz représentait la solution miracle à la transition énergétique sans pour autant se poser la question d’où il venait. Nous avons perdu une décennie. On va me rétorquer que les renouvelables ont crû massivement ces quinze dernières années en Europe. Certes. Mais le gaz fossile a augmenté tout autant. C’est cela qui est criminel. Et on en subit les conséquences aujourd’hui.

PS : Le gaz serait donc, selon vous, le vrai responsable de cette flambée des prix de l’électricité ?

GM : La part du gaz dans la production d’électricité est de l’ordre de 20% en Europe. C’est important. On s’aperçoit en effet que si les prix de l’électricité flambent, c’est essentiellement à cause du gaz. Vous savez, le marché fonctionne en prix marginal, dans une logique d’offre et de demande. Si l’on analyse de plus près ce marché de l’électricité, on s’aperçoit que la différence de prix de marché de 100 € le MWh à 500 € le MWh ne tient souvent qu’à 5 à 10% de la demande.

Non, la demande n’est pas inflexible

PS : Réduire la demande de manière intelligente de seulement 5 à 10% ne semble pas insupportable ?

GM : Le Japon l’a fait après Fukushima, lissant la consommation sur la semaine. C’est une décision politique forte avec des accords qui doivent être passés avec les régulateurs. Avec l’idée de sortir le gaz fossile autant que possible des moyens de production d’électricité. Cela semble simple, c’est en fait très complexe et ne se fait pas en deux temps trois mouvements. Nous considérons en Europe, tel un axiome, que la demande est inflexible alors que non, elle ne l’est pas.

PS : Quand Emmanuel Macron évoque la fin de l’abondance ou Elisabeth Borne le rationnement, font-ils allusion à ces contraintes énergétiques pour les mois qui viennent ?

GM : J’en ai bien peur. Elisabeth Borne et Emmanuel Macron ont raison sur la forme et sur le fond. Ils anticipent des lendemains qui déchantent sur des sujets où la pédagogie est tout sauf évidente. On l’a vu avec la crise des gilets jaunes et les augmentations de carburants, qui ont créé une situation insurrectionnelle. N’oublions pas que l’extrême droite était encore une fois présente au second tour des élections présidentielles. De manière générale, je trouve très inquiétant la politisation du débat sur l’énergie en France autour de deux alternatives très tranchées avec d’un côté les bobos écolos et de l’autre les gens sérieux qui ne jurent que par le nucléaire et le charbon. Un manichéisme délétère ! Une chose est sûre cependant. Tout GW renouvelable installé en Europe réduit la facture énergétique globale. Le budget de la France peut remercier le solaire et l’éolien ces deux dernières années.

7,5 GW de nucléaire ont été installés dans le monde contre 175 GW de solaire

PS : Justement, la France est la seule à ne pas avoir rempli ses objectifs en matière d’EnR en Europe. Pourquoi selon vous ?

GM : La spécificité française qui s’exprime en matière d’énergie repose sur la croyance que le nucléaire protégera de tout et de n’importe quoi. La France persévère dans un domaine où pratiquement plus personne ne veut plus aller. Il n’y a qu’une poignée de pays dont le nucléaire dépasse 50% du mix électrique. En 2021, six centrales nucléaires ont vu le jour dans le monde pour 7,5 GW alors que dans le même temps, il a été installé 175 GW de solaire. La France doit reconsidérer son addiction au nucléaire : même s’il s’avère très utile, il ne résoudra pas tout.

PS : Le développement du photovoltaïque a ainsi été entravé dans l’Hexagone ?

GM : A l’évidence. Dès 2010, on a vu des campagnes terribles contre le PV, à un point jamais vu ailleurs. Le PV a été malmené sous prétexte que le nucléaire n’émettait pas de CO2 et qu’il était donc inutile de développer la filière solaire. Les chiffres parlent par d’eux même, 60 GW sont déjà installés en Allemagne, 14 GW aux Pays-Pays, et même 7 GW en Belgique.

Il existe de gros besoins de modernisation en France sur les plans réglementaire et administratif

PS : Le gouvernement a lancé cet été un avant-projet de loi pour l’accélération du développement des EnR. Quel est votre point de vue sur cette initiative ?

GM : Cette loi arrive à point nommé avec, qui plus est, un focus sur le PV. Pendant des années, il a existé une incohérence entre les objectifs et les moyens mis pour les atteindre. Comme un double discours. Des velléités à développer avec peu d’appels d’offres, des procédures complexes et des réglementations locales contradictoires. Il existe de gros besoins de modernisation en France sur les plans réglementaire et administratif. Il faut souligner le positif et noter que cela progresse depuis quelques années et de voir que c’est désormais Matignon qui a repris la main et qui s’intéresse sur le comment passer à travers le millefeuille. Reste qu’aujourd’hui, l’enjeu est considérable pour parvenir à 10 GW par an à horizon 2025. Un vrai challenge. On sent que la volonté de faire progresser les choses va dans le bon sens, mais il reste énormément de travail.

PS : Et sur le plan industriel, où en est l’Europe ? Le programme REPowerEU a-t-il un avenir ? La France est-elle dans le jeu ?

GM : Sur le plan stratégique, je crois personnellement d’abord à la création d’industries nationales. Il est plus facile de mobiliser les énergies sur le plan national, de solliciter un Etat au service d’un projet dans le cadre d’un Plan de relance. En France, l’Institut Becquerel accompagne le projet Carbon, un projet d’envergure de 5 GW de capacité sur 50 à 60 hectares d’usines dont la France a un besoin impératif. Sur ce projet, nous sollicitons le soutien de l’Etat à tous les niveaux. L’ensemble des développeurs français doivent également soutenir ce projet. La filière a pris conscience du besoin d’une industrie locale forte. A l’instar de Carbon, d’autres projets devraient voir le jour en Europe. Il sera alors temps de les rassembler et de penser à un Airbus du Solaire. Pour l’heure, la principale urgence est d’aller vite, pays par pays. Nous devons absolument produire une partie de ce que l’on consomme. La paix fonctionne bien en temps d’abondance. En revanche, en période de rationnement et de stress géopolitique, la guerre devient vite une option.  Et comme le disait Clausewitz, « la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens ».  Et le temps des conflits vient hélas de s’ouvrir à nouveau.

PS : Des raisons d’espérer ?

GM : Nous vivons à l’heure actuelle une accélération incroyable de la demande pour le photovoltaïque. Et ce dans tous les domaines : industrie, tertiaire, santé, social, agriculture, particuliers etc. Les gens ont besoin de comprendre comment intégrer au mieux le photovoltaïque dans leur activité, dans leur mobilité, dans leur vie.  Ils découvrent aussi que le solaire représente une des solutions les plus crédibles pour sortir de la crise. Un espoir qui naît !

 

Encadré

Quid de l’Institut Becquerel ?

L’Institut Becquerel a un objectif clair : soutenir les entreprises du secteur du photovoltaïque et chercher des pistes d’amélioration de la filière sur les plans technico-économico-politiques. Son champ d’action : le monde entier. S’il réalise 70% de son CA en Europe, l’Institut étoffe son CA de 30% hors Union Européenne, de Madagascar, au Vietnam, en passant par le Japon, la Corée, le Chili, le Maroc, l’Afrique du Sud, l’Arabie Saoudite etc. Il emploie une quinzaine de personnes. L’institut va ouvrir un bureau en France à la rentrée. Plus d’informations à venir sur cette nouvelle implantation en France…

 

 

 

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