Solaire photovoltaïque et logement social : L'enjeu de la colonne montante pour lutter contre la précarité énergétique !

Avec la crise qui perdure, la maîtrise des charges dans le logement social est devenue une priorité absolue des Offices HLM. En ligne de mire les factures impayées d’électricité qui s’amoncellent. Dans ce contexte, la solution solaire photovoltaïque directement connectée à la colonne montante des immeubles apparaît comme la réponse au problème, une réponse simple à mettre en place et terriblement efficace pour effacer jusqu’à 20% à 30% de la consommation électrique des ménages. Pourquoi attendre ? Comment expliquer les réticences d’ERdF? Enquête.

En France, plus qu’ailleurs le prix de l’électricité est éminemment politique. Les tarifs réglementés de vente sont ainsi arrêtés par le ministre chargé de l’énergie et le ministre de l’économie, après avis de la Commission de régulation de l’énergie et du Conseil supérieur de l’énergie. En 2015, les tarifs ont connu une hausse de 2,5%. Pour 2016, rien n’a encore été décidé. Seule certitude l’énergéticien national EDF plaide pour un nouveau rattrapage des tarifs réglementés de l’électricité après une baisse sévère de 68% de son bénéfice. Mal en point, EDF se trouve devant un mur d’investissement pour pallier le problème du parc de centrales nucléaires vieillissant. A un an des présidentielles, l’Etat est actionnaire de l’énergéticien à 84,9 % aura la lourde tâche d’augmenter la facture des Français. En 2016, la hausse devrait donc être modérée, élections oblige ! Mais qu’en sera-t-il en 2017 et les années suivantes ? Le prix du kWh électrique français qui est en moyenne 30% inférieur au prix du tarif dans l’Union Européenne ne fera que grimper à l’avenir. Une certitude avalisée par bon nombre d’experts.

Des alternatives dangereuses à l’électrique

Au-delà de la problématique économique, cette hausse programmée pose un problème social d’envergure. ce jour, selon l’INSEE, près de 3,8 millions de ménages, soit 8 millions de personnes et 14,4 % des foyers, sont considérés en situation de précarité énergétique, au sens où ils consacrent plus de 10% de leurs revenus à leurs dépenses d’énergie. Cette estimation quantitative doit néanmoins être considérée avec prudence : selon la Fondation Abbé Pierre, plus de 600 000 ménages dont le taux d’effort est inférieur à 10% se priveraient d’énergie. Avoir froid plutôt que creuser le trou de sa dette personnelle : une triste réalité dans l’antichambre des vies minuscules où l’électricité devient un luxe suprême. Des poêles à pétrole, souvent mal entretenus fleurissent ainsi dans des appartements majoritairement équipés de convecteurs électriques qui ne chauffent rien et font flamber les factures. Ces poêles sont installés dans les logements avec leur cohorte de nuisances parfois mortifères Chaque année, près de cinq mille cas d’intoxication au monoxyde de carbone sont recensés en France et une centaine de victimes sont à déplorer. Tout cela pour maîtriser sa facture énergétique. Tragique !

Les départements règlent les factures

Alors certes, afin d’atténuer l’impact des prix de l’énergie sur les ménages modestes, le tarif de première nécessité (TPN) pour l’électricité, des aides sous condition de ressources, a été mis en place à compter de 2005. Le TPN prend la forme d’une déduction forfaitaire (en pied de facture) modulée en fonction du nombre de personnes composant le foyer bénéficiaire et de la puissance souscrite. Il correspond à une réduction sur la facture comprise entre 71€ et 140€ par an et bénéficiait en février 2014 à 2 200 000 foyers. Le TPN est financé par la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Autres aides au paiement des factures d’énergie : les fonds de solidarité pour le logement (FSL). Institués par la loi du 31 mars 1990 relative à la mise en Å“uvre du droit au logement, les FSL accordent des aides financières aux personnes qui rencontrent des difficultés pour assurer leurs dépenses de logement (loyers, factures d’énergie…). Depuis 2009, les aides au paiement des factures d’énergie sont devenues le premier poste de dépenses des FSL. En 2010, ce sont environ 328 000 ménages qui ont été aidés à ce titre, pour un montant moyen d’aide (subvention et /ou prêt) de 250 €. Les FSL sont gérés et financés par les conseils départementaux depuis 2005. Une partie de leurs dotations provient de financeurs volontaires, dont les fournisseurs d’énergie (une partie des versements réalisés par les fournisseurs d’électricité leur est remboursée par la CSPE).

Adoucir les factures avec du solaire plutôt que de régler les impayés

« Au lieu de payer des factures impayées d’électricité, cet argent distribué par les conseils départementaux ou via la CSPE ne pourrait-il pas plutôt servir à adoucir les factures via la production d’énergie renouvelable dans le parc social dans une approche plus volontariste des problèmes » s’interroge André Joffre, PDG du bureau d’études Tecsol et président du pôle de compétitivité DERBI (Développement des énergies renouvelables dans le Bâtiment et l’Industrie) soulevant là une vraie question de fond. D’autant que la solution à laquelle il réfléchit depuis quelques années déjà semble tomber sous le sens, d’autant que la courbe des prix des modules photovoltaïques emprunte le chemin strictement opposé de celui du tarif de l’électricité issue du réseau. A savoir fortement à la baisse ! L’idée d’André Joffre repose donc sur l’implantation d’un maximum de modules solaires photovoltaïques sur les toits-terrasses des immeubles HLM et leur raccordement à la colonne montante du bâtiment. « « L’électricité produite serait directement autoconsommée dans les appartements et les kWh produits pourraient être décomptés de l’index au prorata des millièmes de copropriétés et du nombre de personnes qui occupent le logement. L’électricité solaire pourrait également alimenter les communs, escaliers et ascenseurs. Par effet de foisonnement qui élimine tout besoin de stockage, la quasi-totalité de la production pourrait ainsi être consommée par les ménages avec à la clé une baisse de 20 à 30% des factures » poursuit André Joffre. Ces installations seraient financées par les Offices avec le soutien de financements européens voire les collectivités locales qui, comme les départements, participent déjà au règlement des impayés.

L’enjeu de la colonne montante

Cette solution qui ne semble, en rien, rimer avec révolution, en est pourtant une. L’approche technique est en effet relativement simple, au dimensionnement de l’installation solaire près. L’obstacle est ailleurs, dans cet accès à la fameuse colonne montante dont on ne sait vraiment à qui elle appartient (voir encadré). Les colonnes montantes sont un des éléments constitutifs des branchements collectifs relatif à la consistance des ouvrages de branchement et d’extension des raccordements aux réseaux publics d’électricité. Elle comprend : un coffret coupe-circuit pied de colonne (fusibles), des canalisations électriques placées dans une gaine ainsi que des distributeurs d’étage. C’est là-dessus qu’André Joffre voudrait venir injecter ses kWh solaires. « C’est comme faire entrer le loup dans la bergerie. Imaginez ERDF acceptait de céder ainsi l’une des parties les plus sensibles de son territoire : les points d’injections aux consommateurs. Elle est là la révolution » confie un expert sous couvert d’anonymat. Chez ERDF, on demeure en effet fort peu disert sur cette proposition formulée par le patron de Tecsol. L’exploitation des colonnes montantes relève de la rente. L’enjeu est de taille. « On sent beaucoup de réticences du côté de chez ERDF. Mais le sens de l’histoire va vers une énergie décentralisée et autoconsommée sur place. Surtout quand elle a comme ici une forte vocation sociale. Si ERdF ne lâche pas, tôt ou tard, ce sera Google qui en prendra la mesure » assure André Joffre.

Des électrons solaires uberisés

Et ERDF de souligner la problématique du TURPE (voir encadré). Le Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité est la principale manne de financement du gestionnaire de réseau. Il dépend de la puissance souscrite et de l’énergie soutirée. Si le solaire réduit cette puissance soutirée de 20 à 30% c’est autant de manque à gagner pour ERDF. Mais cette électricité solaire produite sur place n’emprunte en aucun le réseau si ce n’est cette fameuse colonne montante. « Il ne serait pas concevable de faire payer le TURPE sur ces kWh qui n’auraient pas voyagé sur le réseau. Le TURPE renchérirait le coût des factures alors que l’objectif est bien de les faire baisser » insiste l’expert. Ce concept développé par André Joffre fait état de l’opposition de deux mondes qui se confrontent et se télescopent, à l’instar des taxis et de uber, de l’hôtellerie classique et de Airbnb. C’est l’histoire d’un réseau centralisé qui doit faire face à des électrons solaires uberisés et bientôt digitalisés qui s’affranchissent des contraintes réglementaires. Un vrai changement de paradigme !

Qu’est-ce que le TURPE ?
Le TURPE (Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité) assure aujourd’hui 90 % des recettes d’ERDF. Le TURPE permet à ERDF de financer ses activités, d’assurer sa mission d’entretien du réseau et de le moderniser.
Les gestionnaires de réseau d’électricité comme ERDF engagent des frais importants pour assurer l’exécution de leurs missions. Le TURPE a donc été mis en place pour couvrir les coûts engagés par les gestionnaires des réseaux et rémunérer les investissements des gestionnaires. Le TURPE est proposé par la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) et approuvé par décision ministérielle. La détermination et l’application du tarif reposent sur 4 principes fondateurs.
La péréquation tarifaire : le tarif est identique sur l’ensemble du territoire national, conformément au principe de solidarité territorial mentionné par le code de l’énergie.
Le principe du « timbre poste » : le tarif est indépendant de la distance parcourue par l’énergie entre le site producteur et le site consommateur (solidarité individuelle).
La tarification : elle est établie en fonction de la puissance souscrite et de l’énergie soutirée.
L’horo-saisonnalité : certaines versions tarifaires connaissent des variations de prix selon les saisons, les jours de la semaine et/ou les heures de la journée.

A qui appartiennent les colonnes montantes ?

Certaines colonnes relèvent de la propriété des collectivités concédantes et, à ce titre, sont des ouvrages concédés dont ERDF assure l’entretien et la rénovation, alors que d’autres colonnes construites sous la maîtrise d’ouvrage de tiers peuvent ne pas constituer des ouvrages concédés. L’article 15 du cahier des charges de concession permet de conclure que les colonnes montantes construites par le concessionnaire ou par un tiers pour son compte et à ses frais depuis la signature du contrat de concession, sont comprises dans les ouvrages concédés. Pour les colonnes montantes existantes à la date de la signature de ce contrat de concession, il convient de déterminer le régime de propriété en se reportant à tout document (titre de propriété, description des ouvrages des communs, règlement de copropriété,).
Un arrêt du 30 mars 2009 de la Cour d’Appel de Toulouse permet de conclure que l’appartenance des colonnes montantes aux ouvrages concédés relève du cas général, le cas particulier correspondant à celui dans lequel ces ouvrages n’ont pas été intégrés dans le réseau public de distribution d’électricité. L’interprétation ainsi retenue par la Cour d’Appel de Toulouse permet de protéger la responsabilité des propriétaires des immeubles en cas de sinistre qui surviendrait en raison d’un défaut d’entretien sur les colonnes montantes, cet entretien incombant au concessionnaire. Dans cette affaire, la Cour a considéré qu’il revenait à ERDF d’apporter la preuve que la colonne montante appartient au propriétaire de l’immeuble. Sachant que 300 000 colonnes seraient en France dans un état jugé dégradé voir très dégradé, l’enjeu est de taille.

Enerplan demande à la ministre du Logement d’impulser l’expérimentation « solaire solidaire »

Enerplan a écrit à la nouvelle ministre du Logement, Emmanuelle Cosse. S’il en est une qui est susceptible d’être sensible à cet épineux sujet de l’intégration d’électrons solaires dans les colonnes montantes des HLM pour lutter contre la précarité énergétique, c’est bien l’ex-secrétaire général d’EELV ! Richard Loyen attend de la ministre qu’elle débloque la situation, car pour impulser l’expérimentation il y a besoin de volonté politique pour faire bouger les lignes. « ERDF reste figé sur la défense absolue du principe du timbre poste. Parcourir quelques mètres de la colonne à l’intérieur de l’immeuble pour distribuer de l’électricité aux plus modestes sans payer le TURPE est inenvisageable pour ERDF, même à titre expérimental. Mais de quoi est-il question ? Il s’agit juste de lancer une expérimentation à grande échelle sur quelques milliers de logements sociaux pour lutter contre la précarité énergétique grâce à l’énergie solaire autoconsommée par les habitants des immeubles, en partenariat avec les organismes HLM volontaires. Il s’agit de faire du curatif en réduisant effectivement leur facture d’électricité grâce aux électrons solaires et à des actions de MDE», lance Richard Loyen. L’initiative « solaire solidaire » portée par Enerplan a reçu un bon accueil de nombreux partenaires (ADEME, CRE, FNCCR, Gimelec, Union Sociale de l’Habitat) avec un chainage institutionnel à formaliser pour lancer et suivre l’expérimentation. Elle s’inscrit dans le nouveau droit de la loi de Transition Energétique, avec son article 200 sur le déploiement expérimental de réseaux électriques intelligents. Elle mixe autoconsommation PV à l’échelle du bâtiment et maîtrise de la demande pour lutter contre la précarité énergétique. « Les réseaux électriques sont publics. La distribution d’électricité est un service public. La précarité énergétique en HLM s’avère être un problème social majeur et il va s’accentuer. Au politique de trancher pour s’affranchir d’une règlementation héritée du passé qu’ERDF défend pied à pied, pour engager une expérimentation socialement positive » conclut Richard Loyen.

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