Justine-Bain-Thouverez :« La Directive européenne aura des conséquences sur le régime de l'autoconsommation en France »

Avocate chez LLC Associés Avocats, Justine Bain-Thouverez est l’une des spécialistes françaises de l’autoconsommation solaire. Pour Plein Soleil, elle en décrypte les arcanes juridiques. Une explication de textes qui montre que de nouvelles réglementations se mettent peu à peu en place

Plein Soleil : Quelles sont les questions à se poser pour bien choisir la forme juridique de la Personne Morale Organisatrice d’une opération d’autoconsommation collective ?

Justine Bain-Thouverez : La personne morale (« PMO ») qui organise l’opération d’autoconsommation collective est l’interface entre les autoconsommateurs /autoproducteurs et ENEDIS. Cet interlocuteur a notamment pour rôle de collecter et de transmettre, au gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité, la répartition de la production autoconsommée entre les consommateurs finals concernés (coefficients de répartition ou mode de calcul). Cette relation avec le gestionnaire est encadrée par une Convention établie par ce dernier (il existe un modèle transitoire Enedis à ce jour). Compte tenu de l’absence de contraintes juridiques prévues dans les textes (notamment l’absence d’obligation pour la PMO de porter ou de financer l’opération), une liberté est laissée aux participants de l’opération quant au choix et à l’organisation de cette personne morale. Le droit n’impose pas une forme organisationnelle particulière pour la PMO. Dès lors la personne morale organisatrice peut prendre la forme d’une association, d’une coopérative ou d’une société de projet créée spécifiquement à cet effet. L’enjeu, au demeurant, est de savoir si une structure déjà existante (du type syndicat de copropriété, bailleur social, ) peut opérer ce rôle. Dans le cas de la création d’une personne morale, celle-ci devra exister avant la mise en service des installations de production puisque c’est elle qui déclare au gestionnaire les installations de production qui participent à l’opération d’autoconsommation. Elle doit également notamment détenir et transmettre au gestionnaire les consentements des participants de l’opération à la collecte de leurs données énergétiques.

Un critère de proximité géographique

PS : Qu’en est-il de l’élargissement du périmètre d’une opération d’autoconsommation collective annoncé dans le Plan « Place au Soleil » ?
JBT : En l’état actuel du droit, l’opération d’autoconsommation collective lie des producteurs et des consommateurs dont les points de soutirage et d’injection sont situés en aval d’un même poste public HTA/BT (article L315-2 du Code de l’énergie). Le 28 juin 2018, le Plan « Place au Soleil » présenté par Sébastien Lecornu annonçait une volonté d’ « ouvrir de nouvelles possibilités pour l’autoconsommation collective en élargissant aux projets dont l’ensemble des consommateurs et producteurs sont situés dans un rayon d’un kilomètre ». L’objectif annoncé de la mesure est notamment de développer les éco-quartiers et d’optimiser l’autoconsommation en regroupant des bâtiments ayant des moments de consommation différents. Sa mise en place est a priori en cours. Après une tentative avortée des sénateurs sur la loi « ELAN », l’Assemblée nationale a voté un amendement sur le projet de loi « PACTE » adopté par les députés en octobre dernier. . Cet amendement modifierait l’article L. 315-2 du Code de l’énergie afin de considérer que : « L’opération d’autoconsommation est collective lorsque la fourniture d’électricité est effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein d’une personne morale et dont les points de soutirage et d’injection sont situés sur le réseau basse tension et respectent un critère de proximité géographique défini par arrêté du ministre chargé de l’énergie, après avis de la Commission de régulation de l’énergie ».
L’exigence que l’ensemble des participants se trouvent en aval d’un même poste public de transformation est remplacée par une condition moins restrictive. Toutefois, cette modification est introduite « à titre expérimental » pour 5 ans et appellera nécessairement l’adoption d’un arrêté ministériel pour préciser le critère de la proximité géographique. Reste à savoir si cet amendement sera également voté pour le Sénat ou s’il sera modifié, ou rejeté

PS : Que peut-on attendre de la Directive européenne Energies Renouvelables révisée ?

JBT : Le projet de Directive qui vient d’être adopté en première lecture introduit la notion de Communauté d’énergie renouvelable, plus large que celle d’autoconsommation collective, et qui doit être autorisée à produire, consommer, stocker et vendre de l’énergie renouvelable, y compris par des accords d’achat à long terme d’électricité, sans être soumise à des procédures et à des charges disproportionnées ne reflétant pas les coûts. Le projet de Directive aura des conséquences sur le régime de l’autoconsommation en France puisque c’est un véritable droit à devenir autoconsommateur d’énergies renouvelables qui y est consacré. Le texte prévoit un certain nombre d’obligations à la charge des Etats membres afin de garantir la mise en Å“uvre de ce droit. Également, il prévoit des obligations concernant la mise en place d’un cadre favorable visant à promouvoir et à favoriser le développement de l’autoconsommation d’énergies renouvelables sur la base d’une évaluation des obstacles injustifiés existants et du potentiel, au financement de projet, à l’accès au financement ou encore à l’autoconsommation d’énergies renouvelables au sein d’un bâtiment. Le projet dispose en effet que : « Les États membres veillent à ce que les autoconsommateurs d’énergies renouvelables situés dans le même bâtiment, y compris des immeubles résidentiels, aient le droit d’exercer collectivement les activités visées au paragraphe 2 et soient autorisés à organiser entre eux un partage de l’énergie renouvelable produite sur leur(s) site(s), sans préjudice des frais d’accès au réseau et d’autres frais pertinents, redevances, prélèvements et taxes applicables à chaque autoconsommateur d’énergie renouvelable. Les États membres peuvent faire une distinction entre les autoconsommateurs d’énergies renouvelables agissant de manière individuelle et ceux agissant de manière collective. Toute différenciation de la sorte est proportionnée et dûment justifiée. »

Le libre choix de son fournisseur par le consommateur existe toujours

PS : Que peut-on faire du surplus solaire généré par une opération d’autoconsommation collective ? Qui gère la responsabilité d’équilibre en cas d’absence de surplus donc d’acheteur du surplus ?
JBT : Dans le cadre d’une autoconsommation collective, l’électricité est nécessairement injectée sur le réseau public. Dès lors, même en l’absence de surplus, le responsable d’équilibre est classiquement désigné lors de la conclusion du contrat d’accès au réseau, soit par le producteur soit par le consommateur. La convention d’autoconsommation collective proposée par le gestionnaire Enedis semble indiquer qu’il revient, dans le cadre de ces opérations, au producteur de désigner le responsable d’équilibre pour les injections réalisées.
Lorsqu’il y a un surplus, c’est-à-dire l’électricité produite mais qui n’est pas consommée par les participants à l’opération, et que la puissance installée de l’installation de production est inférieure à 3 kW, le surplus est en principe revendu à un tiers, consommateur ou fournisseur. A cet égard, il conviendra de conclure un contrat de vente avec ledit tiers. A défaut de revente, le surplus est cédé à titre gratuit au gestionnaire du réseau de distribution, rattaché au périmètre d’équilibre de ce dernier et affecté aux pertes techniques du réseau. Notons également que la Convention d’autoconsommation collective proposée par le gestionnaire introduit la notion de surplus collectif défini comme le « surplus éventuel d’électricité injectée au RPD par l’ensemble des Producteurs participant à l’opération d’autoconsommation collective affecté au Responsable d’Equilibre désigné par la Personne Morale Organisatrice pour l’ensemble des Producteurs participant à l’autoconsommation collective. ». Le gestionnaire « réalisera une répartition du surplus collectif, au prorata du volume de production de chacun des producteurs ».

Plein Soleil : Que devient l’obligation de libre choix du fournisseur dans le cadre d’une opération d’autoconsommation collective ?
JBT : Le libre choix de son fournisseur par le consommateur existe toujours dans le cadre d’une opération d’autoconsommation collective puisqu’il est libre de choisir auprès de quel fournisseur il souhaite souscrire un abonnement pour la part de consommation complémentaire. La circonstance qu’un surplus soit injecté sur le réseau en vue de sa revente à un fournisseur n’a pas d’impact sur ce libre choix. Il est ainsi possible que plusieurs fournisseurs, l’un en soutirage et un ou plusieurs en injection, interviennent dans une opération d’autoconsommation.

Un lien d’appartenance entre l’installation de production et l’autoproducteur

PS : Quelle place pour le tiers investissement sur le marché de l’autoconsommation ?
JBT : Aucune disposition n’existe concernant le tiers investissement en matière d’autoconsommation. Pour cause, si l’on prend le cas de l’autoconsommation individuelle, celle-ci procède par définition d’une identité entre le producteur et le consommateur dont la relation ne saurait être rompue du fait de l’entremise d’un tiers. De plus, aux termes de l’article L315-1 du code de l’énergie, l’autoconsommation individuelle est définie comme : « le fait pour un producteur, dit autoproducteur, de consommer lui-même et sur un même site tout ou partie de l’électricité produite par son installation. La part de l’électricité produite qui est consommée l’est soit instantanément, soit après une période de stockage. » Il y a donc une identité entre le producteur et le consommateur mais il est également souligné un lien d’appartenance entre l’installation de production et l’autoproducteur (même si le code des douanes, qui dispose du régime juridique de l’exonération de CSPE, se réfère à la notion d’exploitation d’une installation et non de propriété). Il en résulte qu’il est difficilement envisageable, en droit, que le tiers investisseur demeure propriétaire de l’installation, ce qui peut freiner le développement de certaines opérations. Il faut envisager des montages juridiques innovants, notamment dans les contrats de baux et de mises à disposition des toitures Pour autant, la notion de tiers investisseur est une notion qui apparaît comme devant être introduite, en droit, prochainement. Dans sa délibération n° 2018-027 du 15 février 2018 portant orientations et recommandations sur l’autoconsommation, la Commission de régulation de l’énergie indiquait, à titre de recommandations : « Recommandation n° 8 La CRE recommande d’étendre les dispositions s’appliquant à l’autoconsommation individuelle, aux autoconsommateurs individuels faisant appel à un tiers investisseur ». Les déclarations présentées dans le cadre du plan « Place Au Soleil » le jeudi 28 juin 2018 introduit le tiers investissement dans le financement des projets d’autoconsommation : Place au soleil à la maison : « Faciliter le financement des projets d’autoconsommation individuelle et collective en rendant possible le tiers investissement. Objectif : faciliter le financement des projets, pour permettre aux particuliers d’éviter de payer l’ensemble du projet à son démarrage. Pour un projet de 3 kW, cela évite au particulier un investissement de 6 000 euros. »
Mobilisation de la grande distribution : « Le Gouvernement facilitera le financement des projets d’autoconsommation individuelle et collective en rendant possible le tiers investissement. Le supermarché pourra alors louer ses ombrières ou toitures à une société extérieure pour lui assurer le service d’autoconsommation. »
A ce jour, si aucune disposition ne semble être en discussion à ce sujet, il est possible de se référer au cahier des charges de l’appel d’offres Autoconsommation qui considère que lorsque le producteur s’engage à contracter pour vendre tout ou partie de l’électricité produite à un ou plusieurs clients sur site alors l’électricité est considérée comme « autoconsommée au sens de l’appel d’offres ». Cette vision réinterroge la notion d’autoconsommateur individuel et permet d’introduire une nouvelle entité détenant l’installation de production et qui vend de l’électricité à l’autoconsommateur.
Enfin, la proposition de directive relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables telle qu’adoptée en première lecture le 13 novembre dernier introduit cette notion de tiers : « L’installation de l’autoconsommateur d’énergies renouvelables peut être détenue par un tiers ou gérée par un tiers en ce qui concerne l’installation, la gestion, notamment les relevés, et l’entretien, pour autant que le tiers demeure soumis aux instructions de l’autoconsommateur d’énergies renouvelables. Le tiers lui-même n’est pas considéré comme un autoconsommateur d’énergie renouvelable ». Une telle disposition permettrait de donner une existence juridique aux tiers investisseur dans une opération d’autoconsommation.

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