Interview/Daniel Bour : « Il est temps de démarrer la transition vers la décentralisation de l'énergie. »

AO CRE3, AO CRE4, appel d’offres simplifié, autoconsommation, marché du solaire thermique, l’actualité du solaire est foisonnante en cette période où la transition énergétique commence vraiment à se mettre en place sous l’effet de la promulgation de la loi éponyme. Le moment idéal pour faire un point avec le président d’Enerplan, Daniel Bour, qui fait part de sa confiance en l’avenir. Questions/réponses !

Plein Soleil : De 400 MW au départ à 1,1 GW à l’arrivée, autant dire que l’AO CRE3 a été prolifique pour la filière solaire. Une excellente nouvelle n’est-il pas ?
Daniel Bour : De manière très pragmatique, nous sommes très contents des 1,1 GW qui sont sortis de cet AO CRE3 qui venait après une grande période de disette. Son grand mérite est de créer un appel d’air et de diminuer fortement la liste d’attente des centrales au sol. Mais cet AO CRE 3 a aussi mis en évidence le fait que le cahier des charges était une véritable usine à gaz et qu’il existait, ce que j’appellerai pudiquement une incompréhension entre la CRE et le ministère

PS : Et justement, le cahier des charges du CRE4 en phase de finalisation vous semble-t-il plus équilibré ?
DB : Tout à fait, le projet sur lequel nous discutons actuellement va dans le bon sens. . Il répond notamment à nos principales demandes en termes de visibilité avec une régularité promise sur trois ans. En parallèle, le volume est là et apparaît comme cohérent avec la PPE annoncée soit 10 GW en 2018 et entre 18 et 20 GW en 2023.
D’ autres demandes ont également été prises en compte : une profonde simplification des dossiers de candidature et une objectivation des critères. Il est notamment impératif, à chaque projet, de pouvoir connaître la note une fois qu’elle est déposée afin de ne pas laisser de place à la supputation ou l’interprétation. Je salue la concertation avec le Ministère même si nous sommes en désaccord avec la limitation proposée des terrains éligibles . Nous aimerions que la vision par trop restrictive édictée dans le cahier des charges soit élargie de manière plus réaliste. en tenant compte du travail passé des sociétés pour le développement des projets et de l’avis local, notamment des services préfectoraux. Dans l’état, l’appel d’offre ferait disparaitre près de la moitié du pipe line des sociétés, ce qui est difficilement acceptable. Par ailleurs nous sommes aussi impatients de voir sortir le cahier des charges pour l’appel d’offre pour les projets sur toiture.

La barrière des 500 kWc n’a aucun sens économique

PS : La barrière des 500 kWc pour le principe de vente au prix du marché plus prime ne semble en revanche pas vous satisfaire ?
DB : Il s’agit d’une mesure prise par des idéologues européens sous l’impulsion de lobbys. Cette barrière à 500 kWc n’a aucun sens économique et ne va pas fluidifier le marché. Elle implique des surcoûts de gestion totalement disproportionnés au regard du chiffre d’affaire de ces installations. Il faut voir de quoi on parle : moins de 50 000 euros de chiffre d’affaire par an pour une centrale de 500 kWc.
Il eût fallu comparer en production, pas en puissance installée. Par exemple, pour l’éolien, le principe de vente sur le marché avec complément de rémunération n’entre en vigueur qu’à partir de 3 MW. Cela reflète la puissance du lobby ! Pour le solaire, nous aurions plutôt recommandé un seuil de l’ordre de 5 MWc, une installation de 5 MWc produisant une quantité annuelle d’énergie équivalente à celle d’une éolienne de 3 MW.
En fait, nos idéologues européens ont mis ce système en place avec le but de créer un marché de l’électricité renouvelable qui viendrait taquiner les opérateurs historiques. Mais ils le font au plus mauvais moment, en période de surproduction. Cela va créer plus de tensions qu’autre chose.

PS : Un mot de la taxation européenne qui perdure sur les panneaux chinois?
DB : Ce système n’est pas sain et il est très perturbant pour le secteur. Une des premières conséquences est de priver le marché européen de la baisse du prix des panneaux qui existe sur le marché mondial . Il existe au moins une différence de 10 % maintenant. Encore une fois l’Europe suit le lobby de quelques acteurs et aboutit à la création d’oligopole en Europe. Les fabricants français n’en profitent pas vraiment car ils doivent le plus souvent importer leurs cellules. Je suis étonné que cela perdure. Il serait souhaitable d’y mettre un terme.

PS : En parlant de toiture, ouvrons le dossier autoconsommation. Où en est-on ?
DB : Nous sommes en discussion avec EDF et ERDF sur le sujet. Ces derniers ne sont pas à proprement parler enthousiastes et moteurs sur le sujet mais j’ai le sentiment que cela va avancer quand même. En revanche, j’ai aussi l’impression que l’autoconsommation n’est pas vraiment prise au sérieux. Et cela est à la fois préoccupant et dommageable car derrière l’autoconsommation, il y a des savoir-faire à développer dans le numérique, la gestion de l’énergie et le stockage. Ne prenons pas de retard. Il s’agit là d’un enjeu vital à venir justement pour les installations en toiture.

La France doit se doter d’une vraie stratégie et pourquoi pas lancer une sorte de plan quinquennal du solaire

PS : Là encore, on nous annonce un AO autoconsommation qui tarde à venir ?
DB : Il est vrai que nous sommes en attente de cet AO censé encadrer le développement de l’autoconsommation. Pour l’heure, les discussions avec le ministère n’ont pas réellement démarré même si le sujet semble d’actualité.. Après, il est aussi évident que le ministère est confronté à un manque de moyens manifeste pour rédiger tous ces textes.
Plus globalement, la France doit se doter d’une vraie stratégie et pourquoi pas lancer une sorte de plan quinquennal du solaire. Il faut se donner les moyens financiers et être capable de se développer dans le qualitatif pour les marchés de demain. Il s’est installé 59 GW de solaire en 2015 dans le monde et nous n’en sommes qu’au début. Beaucoup de PME se lancent dans ce marché de la boucle locale qui offre également des perspectives colossales notamment à l’export dans des pays qui n’ont pas de réseau. Il ne faut pas oublier que le solaire est la seule énergie renouvelable qui est en capacité d’apporter une réponse immédiate aux besoins primaires en électricité.

PS : La dissémination du solaire semble acquise. Comment explique-t-on alors la désaffection des particuliers pour le solaire en résidentiel, épine du pied de la profession en France ?
DB : Nous avons là un vrai souci, une vraie plaie. Et ce n’est pas une histoire de tarif. Un tarif aussi élevé n’existe nulle part ailleurs en Europe. La réalité, c’est que quelques incompétents et quelques escrocs sévissent dans la profession et font de réels dégâts avec des installations abusives. Ils nuisent à l’image de marque de notre activité. C’est le problème de la vente à domicile pratiquée par des margoulins aux comportements commerciaux inacceptables. Ayant dit cela,dans les faits cela ne concerne heureusement qu’un faible pourcentage des réalisations.
La sécurisation de l’approvisionnement en électricité ne se fera plus au niveau national, mais désormais au niveau local

PS : Comment régler le problème ?
DB : Nous avons un devoir de transparence. Il faut communiquer là-dessus et promouvoir un site internet pour aider les particuliers à prendre leurs décisions en connaissance de cause Nous devons mettre en place un système de notations des installateurs via internet et dénoncer tous les abus. Il ne faut pas cacher, il faut montrer. L’un des freins au développement de l’autoconsommation va venir de là.

PS : Après les éco-délinquants du solaire, revenons à des sentiments plus bienveillants avec votre initiative solaire solidaire pour réduire les factures d’électricité des ménages en précarité énergétique. Qu’en est-il ?
DB : L’idée est d’intervenir sur la colonne montante des immeubles HLM pour alléger les factures. Pour l’heure, le droit ne le permet pas. Nous y travaillons. Cette approche se veut pragmatique : il est temps d’imposer l’idée que le rôle de l’énergie solaire est avant tout local. C’est une énergie que la collectivité doit maîtriser à travers la réappropriation de la boucle locale, au niveau des quartiers. C’est cela, la transition énergétique. Il faut comprendre que la sécurisation de l’approvisionnement ne se fera plus au niveau national, mais désormais au niveau local. Voilà ce qui se cache derrière la notion d’économie solidaire, la liberté d’agir au niveau local au plus près de l’humain et des besoins de proximité.

Le pari de la proximité et du potentiel des régions pour relancer le solaire thermique

PS : Venons-en au solaire thermique qui vit des heures difficiles en France. Une analyse ?
DB : Sur le plan des particuliers, il souffre lui aussi des conséquences de la mauvaise image colportée par le solaire photovoltaïque. Il se situe dans un mauvais cycle. Le solaire thermique est en dessous d’un point critique et d’un certain volume qui ne lui permet pas d’être compétitif. Il reste cher et soumis à la rude concurrence des pompes à chaleur.

PS : Comment donc refaire parler du solaire thermique ?
DB : Le solaire thermique devrait être disséminé sur toutes les toitures du Sud. Il n’est malheureusement aujourd’hui qu’un sous-produit de nombreux installateurs. Il est dans un cercle vicieux difficile à enrayer. Là encore, je fais le pari de la proximité et du potentiel des régions pour relancer le solaire thermique et montrer ses mérites. La technologie hybride pourrait aussi relancer ce marché. En tous les cas, Enerplan se bat pour redonner la place qu’il mérite au solaire thermique notamment à travers la tenue de réunions Socol dans toute la France. Toujours au plus près des acteurs !

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