Daniel Bour : « A ce stade de développement, il serait irresponsable de laisser tomber le solaire »

Daniel Bour, président de La générale du Solaire qui développe, construit et exploite des centrales solaires, est également vice-président de France Territoire Solaire qui publie chaque trimestre, en partenariat avec Kurt Salmon, l’Observatoire du Solaire. Doté de cette double casquette, il porte un regard très pointu sur une actualité du solaire photovoltaïque particulièrement peu réjouissante. Les derniers chiffres de l’Observatoire sont sans appel. Avec moins de 100 MW raccordés au 1er trimestre 2013, la filière cale. Le pourquoi du comment avec Daniel Bour !

Plein Soleil : L’énergie solaire traverse une mauvaise passe en France alors qu’elle est en pleine expansion à l’international. Qui en porte la responsabilité ?
Daniel Bour : Il existe un manque évident de coordination entre toutes les instances qui s’occupent du solaire. Avec le solaire, la notion de village gaulois n’est pas usurpée entre la DGEC, le CRE, les ministères de l’environnement et Bercy. Personne ne semble avoir le même discours, la même vision pour ce secteur. Tout cela donne un sentiment de grand désordre. Pourtant la ministre, Delphine Batho affiche sa bonne volonté ; elle se bat mais cela ne suit pas. Dans les faits rien ne bouge. Et la dernière bataille en date autour de la révision des appels d’offres entre le ministère et la CRE en est la triste expression.

Le solaire est au rendez-vous de la compétitivité

PS : A qui profite le crime ? Ne pensez-vous pas que le gouvernement use de pratiques dilatoires pour empêcher le développement du solaire en France ?
DB : Je ne crois pas à une quelconque conspiration sur le solaire. Bien sûr il est très probable que certains à Bercy ou même à la DGEC estiment que retarder le développement du solaire est souhaitable. Mais c est un raisonnement de court terme. Et c’est surtout un mauvais raisonnement, du point de vue de l’activité du pays. Aujourd’hui, les enjeux ne sont pas les mêmes qu’il y a deux ans. Les volumes de raccordement ont chuté, les coûts du solaire également. Tout cela est bon pour la CSPE et va dans le bon sens. Le solaire est au rendez-vous de la compétitivité par rapport à ce qui était prévu : le cout d’une installation photovoltaïque a été divisé par 2,5 en deux ans et demi.
Ce qui est gênant, c’est de voir le solaire décroître en France à un niveau bas alors que le marché mondial s’ouvre et progresse rapidement dans certains marchés même en Europe avec la Suisse ou la Grande-Bretagne. C’est le moment d’avoir des sociétés fortes en France pour attaquer l’international. Nous pouvons à ce titre déplorer le manque de visibilité dans un secteur d’activité qui est tout sauf secondaire. Beaucoup se plaignent de la faiblesse de la filière industrielle française mais pour se faire il lui faut de la visibilité pour se développer.

PS : On peut quand même admettre que la baisse soudaine de 20% du tarif T5 à porter un sale coup à la filière ?
DB : Cette attaque sur le T5 montre en effet une vraie volonté de tuer le développement des grandes centrales au sol. A 80 € le MWh les projets sont économiquement non viables et les opérateurs ne peuvent pas se lancer dans de tels projets. A 100 € le MWh, le challenge était déjà dur à relever mais cela restait faisable sous certaines conditions et dans certains sites.
Il s’y ajoute et ce qui est un grand changement par rapport aux années passées, le réajustement à la hausse du prix des panneaux. Il ne faut donc pas s’attendre à une baisse du coût des centrales à court terme. Avec un tel contexte le tarif T5 n’a plus d’utilité et créé artificiellement les conditions d’un nouveau moratoire à durée indéterminée.

Le système pervers et virtuel des baisses de tarifs

PS : Avec l’histoire des taxes douanières pour lesquelles la France a voté favorablement, le prix des modules a grimpé de 20%. De quoi retarder l’arrivée de la parité réseau et l’autoconsommation. Cela ressemble à de l’acharnement, non ?
DB : Pour les droits de douanes, c’est plus compliqué. Nous sommes dans un contexte plus global de relations avec la Chine. Je comprends qu’une telle distorsion sur un marché qui pèse plusieurs milliards d’Euros pose des questions. Cela me paraît légitime de protéger la filière même si, pour moi, l’Europe a surtout des atouts à consolider et à développer dans l’ingénierie, dans la gestion du réseau ou les composants électriques (onduleurs, stockage, …). Mais est-ce par ailleurs la bonne attitude ? N’y a-t-il pas de combat plus judicieux dans le solaire que de s’en prendre aux seuls panneaux qui ne sont finalement que des commodités ? Je reste interrogatif. Si cette mesure est prise pour limiter le solaire en Europe, c’est inepte. Si c’est pour conforter une filière européenne, cela a du sens. Mais il faudra être compétitif pour le faire. Pourquoi pas dans ce cadre monter des joint-ventures avec les Chinois qui ont pris de l’avance ?

PS : Vos chiffres de l’Observatoire le montre. La France a installé moins de 100 MW au premier trimestre 2013. Comment inverser la tendance avec des tarifs en chute libre et des coûts en augmentation ?
DB : Le système de baisse trimestrielle des prix actuels est fondé sur le volume de la demande et pas sur le volume de ce qui est réellement raccordé . Les baisses rapides de tarif se sont faites dans le vide, sur du virtuel, pas sur du réel. Pléthore de dossiers, de 50 à 70%, déposés à la va-vite ne se font pas. Le système est pervers et injuste car le volume effacé régulièrement par ERDF n’est jamais pris en compte. Je comprends que les pouvoirs publics veuillent contrôler mais il existe d’autres systèmes. L’évolution du corridor doit se faire sur ce qui est réellement raccordé par sur les demandes de raccordement. Le gouvernement doit réévaluer et ajuster les tarifs de manière raisonnable et cohérente. Il doit accepter une hausse des tarifs pour les installations entre 9 et 100 kWc et une logique de tarifs plats pendant quelques mois avant que la baisse ne reprenne son cours. Si la baisse avait été déterminée en fonction du volume raccordé le tarif serait aujourd’hui supérieur à 210 € le MWh à comparer aux 159,7 € actuels. Et vous évoquez dans votre question les augmentations de coûts. Outre les modules, n’oubliez pas non plus les coûts de raccordement que ERDF a revu fortement a la hausse pour représente un cout moyen de 0,25€/Wc.

1 à 1,5 MW de volumes pour passer le cap

PS : Faut-il selon vous étendre le tarif jusqu’aux 250 kWc ?
DB : Etendre le tarif jusqu’à 250 kWc avec le tarif dévalué des 100 kWc, n’a pas de sens. Les appels d’offres ont montré que le prix du marché est autour de 200 € le MWh et pas de159.7 €. Tant que les 100 kWc ne seront pas réévalués, il ne faut pas le faire.
Etonnamment les installations entre 3 et 9 kWc ouvertes à tous les bâtiments disposent d’un tarif très attractif à plus de 300€ le MWh. L’Observatoire d’ailleurs s’attend à une forte croissance de ce segment. C’est l’anomalie du secteur. Peut-être y-aurait-il moyen de rééquilibrer cela pour valoriser les moins de 100 kWc ?

PS : Vous demandez donc un coup de pouce au gouvernement ?
DB : Il serait irresponsable qu’il ne le fasse pas, qu’il délaisse le solaire. C’est le prix à payer. Cela n’a pas de sens de dire stop. Dans dix ans, c’est un truisme, le solaire sera une composante forte du mix énergétique français qui dispose d’un énorme potentiel encore largement sous-exploité dans le Sud de la France et particulièrement dans le bassin méditerranéen. Une filière se mettra en place tôt ou tard. La question est de savoir si elle sera française ou pas et comment on accompagne le mouvement ?

PS : En maîtrisant les tarifs, le gouvernement maîtrise les volumes. Quels sont les volumes acceptables pour maintenir une filière ?
DB : C’est une certitude. Il faut arriver à doser les deux. La ministre a évoqué une révision de la PPI. De notre côté, nous prônons de 1 à 1,5 GW par an, chiffres que nous n’avons pas atteint en 2012 et que nous n’atteindrons pas en 2013. Ce sont des volumes acceptables pour la CSPE et qui sont sans commune mesure en termes financiers avec les situations antérieures. Cela devrait nous permettre de passer le cap, de tenir les trois ans qui viennent pour nous préparer à l’avenir.
« Nous prenons du retard alors que nous nous situons dans l’excellence »

PS : Et justement l’avenir, vous le voyez comment avec en ligne de mire la parité réseau et l’autoconsommation ?
DB : Nous devons nous préparer, à l’instar de ce que nous ont montré les Allemands lors d’Intersolar 2013, à ce que le solaire soit un élément clé de notre mix énergétique. Et ce de manière très réaliste. Outre-Rhin, de gros efforts sont réalisés dans l’intégration au réseau, le lissage de l’énergie, le stockage ou la synchronisation. Or ces éléments seront clés dans un futur bref pour le développement harmonieux des Energies Renouvelables. Les Allemands vont prendre de l’avance et nous du retard. C’est d’autant plus dommageable que nous disposons de toutes les compétences dans ces secteurs. ERDF est très ouverte sur le sujet. Je trouve d’ailleurs que les appels à manifestation d’intérêt devraient rapidement intégrer ce type d’innovation. La France a son mot à dire.

PS : Qu’attendez-vous pour conclure du débat sur la transition Energétique ?
DB : Le secteur de l’énergie est celui de l’omerta avec un acteur historique principal qui n’est pas habitué à la transparence. Nous avons un besoin crucial de transparence, de sortir de l’idéologie. Si le débat pouvait apporter cela, et évoquer les vrais prix/coûts de l’électricité et de sa distribution, alors le solaire aurait toute sa place dans le mixte énergétique français. J’attends de ce débat qu’il apporte de la sérénité, de la visibilité et des objectifs.

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