Interview/Jean Jacob Boom Wichers : « le premier module est attendu pour la première moitié de 2025 »

Jean Jacob Boom Wichers n’a pas été choisi par hasard pour être le président d’Holosolis, le projet de giga-factory photovoltaïque de 5GW qui prendra ses quartiers à Sarreguemines en Moselle. Passé par REC en Europe puis aux USA, il a enchaîné chez Trina Solar, acteur asiatique du secteur. L’homme qui a de nombreuses références, connaît le secteur sur le bout des doigts. Interview d’un expert de l’industrie PV qui s’apprête à relancer l’industrie du photovoltaïque en France !  

Plein Soleil : Déjà pourquoi avoir choisi Sarreguemines et la France, pays connu pour ces lenteurs administratives pour l’implantation de cette usine photovoltaïque ?

Jan Jacob Boom Wichers : Pour ce projet d’envergure, nous avons étudié une quarantaine de sites différents dans six pays européens. Autour de plusieurs exigences : la capacité de marché du pays concerné, sa compétitivité, le coût de l’électricité, le contenu carbone mais aussi la faculté à avancer très vite. Et paradoxalement, comme vous le dites, la France avec le site clé en main de Sarreguemines a su répondre à tous ces critères avec en plus une administration qui a l’ardent désir d’accélérer les choses. Les ministères compétents, les services de l’État, les élus du Grand Est et de la communauté d’agglomération de Sarreguemines se sont montrés les plus rapides et les plus efficaces pour l’obtention des permis et des autorisations administratives, la mobilisation des aides et des subventions disponibles, en complément des fonds européens, la construction de solutions de recrutement et de formation.

1700 emplois créés à terme

PS : Qu’est-ce qui a prévalu dans ce choix ?

JJBW : A Sarreguemines, la population avait déjà approuvé une usine semblable avec le projet de REC qui n’a finalement pas abouti. L’ADN local est donc en faveur du photovoltaïque. Le site est complétement prêt avec des routes d’accès. La région Lorraine est riche d’un tissu industriel de longue date. Les gens ont l’habitude des emplois à poste, à la surveillance des machines. Nous allons former plus d’un millier de personnes aux métiers de l’industrie photovoltaïque. Notre partenaire InnoEnergy dispose de fortes compétences en la matière. Les universités de Lorraine ont également à disposition des lieux pour former les futurs employés en salle blanche, un véritable vivier d’ingénieurs. Au total et à terme, nous allons créer 1700 emplois.

PS : La volonté politique a-t-elle aussi joué un rôle déterminant au nom d’une forme de souveraineté et d’indépendance énergétiques ?

JJBW : A l’évidence. Il est certain que la démarche portée par le président Macron de réindustrialiser à marche forcée le pays a pesé dans la balance. C’est l’assurance d’aller plus vite en France que dans le reste de l’Europe.

PS : Les robots nécessaires à la fabrication des cellules et des modules seront-ils d’origine européenne ?

JJBW : Nous avons travaillé ce point avec un cabinet conseil historique du photovoltaïque en Europe. Nous avons lancé une identification sur l’ensemble de la chaîne de valeur wafers, cellules et modules. Quelques acteurs européens demeurent mais ils sont très affaiblis. Nous sourcerons nos machines en Europe où l’on peut, le reste, la grande majorité, viendra d’Asie.

Le technologie TOPCon efficiente et compétitive

PS : Quelle sera la technologie de cellules privilégiée ?

JJBW : Nous démarrerons la production en technologie TOPCon, l’une des plus avancées et des plus performantes aujourd’hui. Elle est moins gourmande en matières premières – notamment l’argent – que la technologie AJT Hétérojonction. Elle affiche un through put, à savoir le nombre de pièces produites par machine, plus efficient. Le prix de revient en TOPCon est plus bas pour une performance identique. Parallèlement nous regardons de près, avec nos équipes de R&D une solution très prometteuse, dite tandem, qui couple silicium et pérovskite au sein d’une cellule solaire, avec pour effet une amélioration spectaculaire du rendement énergétique. Quand cette innovation parviendra à maturité, nous aurons besoin de modifier et d’allonger nos lignes de production. Nous allons construire une usine évolutive, extensible, capable de s’adapter très vite aux ruptures et aux progrès technologiques du marché photovoltaïque.

PS : Comment être compétitifs vis-à-vis des produits chinois dont certains fabricants réalisent des économies d’échelle considérables avec plusieurs dizaines de GW produits chaque année ?

JJBW : Nous fabriquerons les modules les plus efficaces sur le plan énergétique, intégrant les dernières technologies photovoltaïques, avec la plus faible empreinte carbone et les normes sociales les plus élevées. Pourquoi 5 MW ? Eh bien, avec ce seuil, les effets d’échelle dans l’achat des matières premières et l’automatisation des lignes permettront un coût compétitif, apte à rivaliser avec ceux des géants mondiaux du secteur. Après il y aura toujours un léger décalage de coûts. En Chine, les heures légales des employés, c’est douze heures par jour, six jours sur sept. Mais nous notons quand même un souhait fort des clients européens, notamment sur nos marchés cibles à savoir les toitures résidentielles, les toitures industrielles et commerciales et l’agrivoltaïque, de vouloir des produits européens. Ils sont prêts à payer un peu plus pour des produits Premium.

L’excellente empreinte carbone française

PS : Le bilan carbone devrait aussi avoir son mot à dire ?

JJBW : Vous avez raison, il nous faut mettre en avant notre empreinte carbone. La France c’est 50 kg de CO2/MWh. La Chine c’est seize fois plus à 800 kg/MWh, la moyenne européenne est pour sa part à 200 kilos/MWh. Je note d’ailleurs que le principe des AO français qui soumettent une empreinte carbone limitée devrait être simplifié et étendu à l’Europe. C’est assez facile à faire. Cette question du carbone est fondamentale selon moi. Notre planète brûle, les températures mondiales explosent. Elles pourraient dépasser les +5°C par endroit à la fin du siècle avec à la clé d’énormes problèmes de survie sur la planète et un flux massif de migrants climatiques. Réduire les émissions de gaz à effet de serre est notre raison d’être. Après la vapeur, le pétrole, la troisième révolution industrielle sera celle des renouvelables ou ne sera pas.

PS : A quelle date la première pierre et quand sortiront les premières cellules et les premiers modules ?

JJWB : La première pierre est attendue pour le premier trimestre 2024. Pour le premier module, notre objectif est la première moitié de 2025, dans deux ans. Peut-être un peu avant. L’usine tournera en pleine capacité à horizon 2027. Vous savez avec cette usine de Sarreguemines je ne réfléchis pas seulement par rapport à la France. Il s’agit véritablement d’une usine européenne qui rayonne sur l’Europe, à une journée de camion pour 80% du continent.

PS : Quel est votre point de vue sur le projet CARBON en France ?

JJWB : Plus il y a de projets d’usines photovoltaïques en France, mieux c’est. L’objectif est de réindustrialiser le pays et l’Europe dans ce secteur stratégique du PV. Nous avons près de 40 GW à produire d’ici 2030. Actuellement, il s’en produit moins de 2 GW en Europe. L’ambition est de produire en Europe en 2030, 40% des modules qui y seront installés. En 2030, le marché européen est annoncé à minima à 100 GW. Je pense pour ma part qu’il ira au-delà des 100 GW de part l’inertie du système.  L’an dernier, nous avons importé 60 GW de Chine, cette année ce sera 80 GW soit l’équivalent de 20 centrales nucléaires. Il est temps que l’industrie européenne du photovoltaïque reprenne la main. Les instances européennes ont pris conscience de l’enjeu via le plan de résilience. L’usine de Sarreguemines doit essaimer partout en Europe. Il y a urgence…

 

 

Cet article est publié dans Actualités. Ajouter aux favoris.

Les commentaires sont fermés