Au début de l’été, la société Heliup a inauguré une nouvelle ligne de production de modules photovoltaïques ultra légers d’une capacité de 100 MW en Isère. Le produit répond aux besoins des développeurs en quête de modules ultra light pour équiper en autoconsommation les grandes toitures « sensibles », sans pour autant effectuer de renforts de structure qui plombent les business models. Ce projet répond par ailleurs à la lettre, à la volonté européenne de réindustrialisation au sein de l’UE, notamment dans ce secteur en tension des renouvelables. Question de souveraineté ! Entretien avec Yannick Veschetti, ancien ingénieur chercheur CEA INES, fondateur et CEO d’Heliup !
Plein Soleil : Heliup est née au début au début des années 2020 pour combler un manque sur le marché du photovoltaïque, à savoir des modules ultra légers pour recouvrir le maximum de toitures possibles. Quel a été le déclic ?
Yannick Veschetti : Le déclic est venu au cours du décollage de mon avion qui m’amenait à Intersolar à Munich. En quittant Saint-Exupéry, on aperçoit une multitude de toitures de bâtiments commerciaux, industriels et logistiques. Sur ces toitures gigantesques, pas un seul panneau solaire ! Une aberration. Pour moi, solariser l’ensemble de ces bâtiments relevait de l’évidence alors que le problème de l’accès au foncier représente une problématique prégnante pour le développement du photovoltaïque. Les centrales au sol créent de plus en plus de tensions sociétales. L’heure est venue d’équiper les grandes toitures « sensibles ». Dans le cadre vivifiant et l’écosystème prolifique du CEA INES, nous nous sommes mis à chercher une solution efficace.
« Une rupture technologique »
PS : Avec Julien Gaume, PhD, (CTO), Pierre Ruols (CIO) et Laurent Prieur (CFO), vous avez lancé l’aventure Heliup au sein de l’incubateur Technolac en Savoie. Votre objectif : la rupture technologique autour du poids des modules ?
YV : Dans un premier temps, nous avons beaucoup investigué et réalisé un état de l’art complet. Rien de réellement convaincant n’existait sur ce marché des modules légers. Il y a avait bien les moquettes solaires mais leurs performances apparaissent comme peu abouties et leurs durées de vie, très incertaines. Très vite, notre cahier des charges a tourné autour de trois pré-requis pour la structuration d’Heliup : une technologie efficace sans obérer la légèreté, une fabrication française et une supply chain la plus locale possible. Le scénario d’une belle histoire industrielle française ! Sur le plan technique, nous avons donc fait le choix du silicium cristallin qui coche toutes les cases en matière de performances, de rendements, de durées de vie et de REX. Heliup exploite une technologie unique, brevetée et développée pendant trois ans au sein du CEA à  l’INES (Institut National de l’Energie Solaire). Ses panneaux sont trois fois plus légers que les panneaux classiques, seulement 5kg/m2, tout en étant aussi performants et résistants. Cette innovation technologique, associée à un système d’intégration optimisé, réduit de plus de 60% le poids de la centrale solaire. Vous évoquez une rupture technologique, cela en est une !
PS : Quid de la compétitivité économique ?
YV : C’est une évidence, le CAPEX représente un élément majeur à maîtriser. Il est indispensable de développer des produits avec des effets d’échelle associés sous peine de les voir disparaître du marché. On le voit bien avec les couches minces qui ne sont pas déployées massivement et demeurent cantonnées à la confidentialité. Pour Heliup aujourd’hui, il est déjà possible d’atteindre un TRI inférieur à dix ans, en fonction de la taille et de la rentabilité du projet.
« Notre positionnement prix est cohérent pour défendre un système social français plébiscité par tous »
PS : Cela reste cher ?
YV : Tout d’abord, la solution proposée permet d’atteindre des niveaux de rentabilité très intéressants avec une compatibilité sur bâtiments existants. Par ailleurs, acheter des produits en Chine, en quête de coût bas, pèse sur la balance commerciale et ne crée pas d’emplois sur nos territoires. Tout cela est donc discutable en termes de réalité économique pour notre pays. Il s’agit là d’une question d’équilibre du partage de la valeur pour l’ensemble de la filière, installateurs, développeurs, et de l’ensemble des intermédiaires. Notre positionnement prix est cohérent aussi par rapport au besoin client dans un contexte de contribution à la protection de notre modèle social français plébiscité par tous.
PS : Même si comparaison n’est raison, il faut en effet comparer ce qui est comparable entre Heliup et les modules plus classiques ?
YV : Vous avez raison. Il faut comparer le prix de notre panneau Heliup doté d’un système d’intégration inclus avec celui d’un système classique pour lequel la pose est plus complexe. C’est le cœur du sujet. Heliup n’a pas vocation à remplacer les panneaux photovoltaïques classiques posés sur des charpentes bien dimensionnées. Heliup a toute sa place dans l’existant, là où les renforts de structure sont nécessaires, sur des lieux en activités. Un marché plein de complexités ! Autre atout majeur dans ce contexte, la pose d’Heliup est largement facilité par une solution de collage par adhésif très performante qui n’a aucun impact sur le fonctionnement de l’entreprise et ne génère aucune perte d’exploitation. Des tests sévérisés ont été réalisés sur plusieurs mois autour de cette technologie de collage. Rien n’a bougé. C’est très rassurant. Autant d’externalités positives à prendre en compte au moment de faire le bilan financier des opérations de solarisation de ces toitures géantes !
« L’accélération est programmée pour 2026 avec déjà des projets de plusieurs MWc dans les tuyaux »
PS : Quels sont les objectifs pour Heliup avec le lancement de cette ligne de production ?
YV : L’année 2025 signe l’entrée d’Heliup dans ce marché de la solarisation en autoconsommation des grandes toitures existantes. Heliup qui emploie une quarantaine de salariés se positionne clairement dans une approche moyen long terme. Notre solution a vocation à être déployée sur tous les segments, logistique comprise. L’accélération est programmée pour 2026 avec déjà des projets de plusieurs MWc dans les tuyaux. Les évolutions réglementaires, entre critères de résilience et déclinaisons du NZIA, devraient également porter notre développement. Nous ne sommes pas limités par la production aujourd’hui étalonnée à 100 MWc par an, une production qu’il sera possible de doubler ou tripler. Nous l’étudierons le moment venu. Nous commençons également à nous tourner vers l’export, dans un premier temps vers l’Italie et l’Autriche qui sont des marchés très dynamiques. Suivront l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique, la Suisse…
PS : D’autres projets d’industries PV comme CARBON ou Holosolis sont en cours de développement en France. Quel est votre point de vue sur ces projets ?
YV : J’ai beaucoup de respect pour ces femmes et ces hommes qui se battent pour récréer un tissu industriel en France. J’ai de l’admiration pour ces gens qui se battent et qui développe des process très complémentaires de notre activité. Nous attendons d’ailleurs avec impatience des cellules françaises. Conscient aussi de la prise de risque dans un secteur aussi concurrentiel ! Pourtant, je suis certain qu’il y a de la place pour des projets compétitifs. C’est une question de volonté politique et de solidarité, dans le respect de notre modèle social.
« Sans industrie, pas d’innovation ! »
PS : Vous évoquez souvent la volonté politique, le modèle social. En ce moment la transition énergétique est malmenée en France avec un monde politique très divisé. Comment le vivez-vous ?
YV : En tant que chef d’entreprise, nous ne maîtrisons pas grande chose, nous ne sommes pas des magiciens. Il faut accepter ces évolutions et s’adapter dans la mesure du possible. Reste que nos politiques devront assumer les conséquences de leurs actes dans le futur. Mais je reste confiant. La raison l’emportera. Il y a des choses à réajuster, des équilibres à trouver pour ne pas insulter l’avenir.
PS : Pour vous la transition énergétique ne peut s’envisager sans le développement d’une industrie des EnR en France ? Question de souveraineté ?
YV : L’énergie est devenue un véritable sujet régalien, un sujet essentiel qui devrait, aussi, faire la part belle aux experts. Histoire de dépolitiser le débat ! Dans le développement d’une filière industrielle solaire, nous devons avant tout penser européen. Notre industrie doit se développer à l’échelle européenne. Vous savez l’équation est simple. Si le continent européen ne dispose pas d’une industrie solaire forte, il ne créera pas d’innovation et il décrochera définitivement. Sans industrie, pas d’innovation ! Si les Chinois sont aussi performants en matière d’innovation, c’est grâce à la puissance de leur industrie qui dégage des budgets conséquents. A nous d’engager ce cercle vertueux !