Une grève de la faim d’un entrepreneur breton contre le régime sec imposé à la filière photovoltaïque

Le lundi 11 juillet dernier, Franck Le Borgne, gérant de la société One Network Energie spécialisée dans les trackers solaires, s’est lancé dans une grève de la faim sur le site de la centrale solaire au sol de Saint-Allouestre dans le Morbihan, centrale dont il est copropriétaire avec trois autres partenaires. Outre le fait d’attirer l’attention sur la gravité de la crise du solaire photovoltaïque en France, la solution radicale pour laquelle a opté ce jeune chef d’entreprise a deux objets principaux et il le crie : « Qu’on raccorde mes centrales et que l’on me redonne un métier !» Un acte désespéré pour mettre enfin un terme à cette situation d’aporie où ErDF et Etat ne cessent de se renvoyer la balle !

La tente est un tantinet ballotée par les vents. Elle est plantée là, sur la commune d’Allouestre dans le Morbihan, à proximité des capteurs solaires montés sur trackers qui servent de décor. Hébergement précaire pour une situation qui ne l’est pas moins. Nous sommes le vendredi 15 juillet en plein pont du 14 juillet. Franck Le Borgne n’a rien avalé depuis cinq jours en signe de protestation. Juste des filets d’eau pour épancher sa soif. Le médecin s’est voulu rassurant. La tension est bonne mais ses joues se sont creusées. La fatigue commence à se faire sentir pourtant il n’a rien perdu de sa verve, de son ire loin de toute équanimité. Il a la rage tenace contre ce gouvernement qui le prive d’une partie essentielle de sa vie : son job pour lequel il s’est tellement donné ces dernières années.

2 décembre 2010, une éclipse sur le calendrier

Franck Le Borgne est le fondateur de la société One Network Energies qui développe et fabrique des systèmes de suivis solaires et notamment le fameux Traky (voir encadré). L’entreprise a créé quatorze emplois permanents et soixante temporaires lorsque l’activité est à son acmé. « Nous avons créé de l’emploi, qui plus est non délocalisable, car ce que nous voulons, c’est produire de l’électricité solaire ici en Bretagne, une région qui en a bien besoin, vivant sous la menace réelle d’un black-out lorsque les besoins en électricité augmentent. De plus, les suiveurs solaires représentent le meilleur moyen de rentabiliser le solaire en Bretagne avec pour un même capteur une production qui peut bondir de près de 40% » argumente Franck Le Borgne. Pour parfaire son développement technologique, la société bretonne a pris la décision de réaliser deux projets pilotes, l’un en Bretagne sur quatre sites (103 kWc) et un en Vendée sur deux sites (82 et 160 kWc). Deux ans ont été nécessaires au montage des dossiers, jusqu’au passage par le tribunal administratif, pour l’implantation de ces centrales dans des zones industrielles. One Network Energies s’est adjoint le support de partenaires pour parvenir à ses fins. Jusque là, aucune ombre au tableau. Pourtant, sur le calendrier, une éclipse est marquée d’une pierre blanche et seul le gouvernement en connaît la date. Détail des opérations.

Des piscines pour les Qatari avec la CSPE des consommateurs français

Confiant en la politique mise en place et désireux d’accélérer le temps administratif, One Network Energies installe ses centrales solaires au printemps 2010. Les travaux se sont réalisés sans la moindre anicroche. « Le 26 août 2010, nous avons reçu d’ErDF l’accusé de réception confirmant que notre dossier était complet, et nous communiquait un N° de contrat. Cette date du 26 août marque de manière certaine la référence au t0 et au tarif applicable à cette date soit 31.4 cts d’euro le kWh. Que je sache, le t0 relève du contrat avec des injonctions et des obligations. Ce courrier rajoutait qu’ErDF se donnait 90 jours maximum pour nous faire une offre tarifaire de raccordement. Durant ces trois mois nous n’avons eu de cesse de relancer ErDF afin d’avoir le chiffrage de ce raccordement. Les nouvelles étaient mauvaises concernant l’engouement de trop de gros projets purement spéculatifs mettant à mal la péréquation de la CSPE. Le consommateur français allait-il payer pour construire des piscines au citoyen Qatari dont les fonds souverains se sont intéressés à cette manne juteuse du photovoltaïque français ? Le gouvernement finit quand même par s’en apercevoir et mit en place des mesures restrictives rétroactives à la date du 2 décembre 2010 avec les dégâts collatéraux qui viennent d’envoyer 15 000 personnes à la casse ces derniers mois » analyse très amer Franck Le Borgne. Le 2 décembre, la date de l’éclipse sur le calendrier.

« Il y a eu un mot d’ordre gouvernemental pour retenir les courriers »

Retour sur ce compte-à-rebours dirimant. Après le 26 août, ErDF attendra quatre-vingt dix jours avant de rédiger le devis de raccordement, la fameuse PTF (proposition technique et financière), soit le 24 novembre 2010. Cette PTF est la première, et pour l’heure la dernière, pour des centrales au sol en Bretagne. Ce devis est demeuré entre les mains des techniciens d’ErDF jusqu’au 29 novembre date à laquelle il a été expédié. « Pourquoi ? » s’interroge le chef d’entreprise. « La raison officielle, c’est la surcharge de travail. Pour moi, il ne fait pas de doute qu’il s’agit là d’un mot d’ordre gouvernemental pour retenir les courriers avant le lancement du moratoire » poursuit-il. Après deux jours de perdus pour une expédition par ErDF à une mauvaise adresse, la société One Network Energies l’a réceptionné le samedi 4 décembre et a expédié le chèque demandé le lundi 6 décembre. ErDF a renvoyé ce chèque après 45 jours avec pour motif lapidaire : « Reçu hors délai, vous entrez dans le cadre du moratoire ». Le 2 décembre faisant foi ! « Toutes les protestations, tous les appels vers ErDF, les sénateurs, les députés, les conseillers régionaux sont restés vains. Personne ne veut reconnaître que nous n’aurions pas dû faire partie du moratoire sans la rétention d’ErDF. Le malaise est immense quand on sait qu’EDF EN (filiale d’EDF) ne respecte pas les mêmes contraintes administratives, obtient des réponses rapides à ses PTF et obtient ainsi des avantages irréguliers face à ses concurrents » lance dépité Franck Le Borgne qui se bât tel un Don Quichotte avec ses armes.

Ping-pong délétère entre Etat et ErDF

Il remue ciel et terre pour que l’on raccorde enfin ses installations. Au cabinet d’Eric Besson où il croise Michèle Bellon « venant réclamer une provision pour ennuis judiciaire à venir » dixit Franck le Borgne, le rendez-vous s’est soldé par une situation ubuesque. Il lui est dit que le moratoire relève de l’ineptie et que le gouvernement s’en remet à ErDF. Autre rendez-vous chez ErDF « Là-bas, ils attendent le doigt sur la couture du pantalon que l’Etat leur passe des consignes. Ce sont des fusibles. Etat et ErDF se renvoient la balle. Personne ne se prononce sur notre rattachement au tarif qui nous est dû. C’est inacceptable. Cet Etat s’est mué en dictature.». Pendant ce temps et malgré un report d’une année entière, les échéances arrivent à terme. Il y a quelques jours à peine, le conseil régional de Bretagne a voté une avance remboursable de 110 000 euros pour payer les frais bancaires et les quatre crédits des projets dont l’investissement se monte à 1,6 millions d’euros. Un délai supplémentaire qui permet de faire le rond et d’attendre une hypothétique alternance politique. Mais qu’attendre alors dans l’immédiat de cette grève de la faim ? « Il est hors de question que la responsabilité de l’Etat ne soit pas reconnu dans cette affaire dont cent soixante cas similaires au nôtre ont été repêchés au Cordis (voir encadré). Je ne désire aucun passe-droit, je veux que cesse cette injustice, qu’on me raccorde au plus vite, qu’on rende ce que l’on a volé à mes clients. Je veux retrouver ma dignité perdue de façon ignoble » s’emporte encore Franck Le Borgne.

Des manifestations en préparations en solidarité avec le combat de Franck Le Borgne

Ainsi donc le site de Saint Allouestre présente aujourd’hui fièrement ses suiveurs solaires (une soixantaine en tout pour une capacité cumulée de 410 kwc ) dont pas un ne bouge. Statufiés, hiératiques, figés par une décision unilatérale d’un gouvernement dépassé par les événements. Quel gâchis en cette période estivale où la production des panneaux montés sur trackers pourrait atteindre un climax ! « C’est la totale incompréhension. Les discours de l’Etat qui hier faisaient l’éloge de cette source d’énergie non polluante et pleine d’avenir et l’érigeaient en cause nationale, l’accablent aujourd’hui de tous les reproches comme de coûter dix fois trop cher ou être intermittente. Je suis dégoûté » conclut Franck Le Borgne qui voit défiler depuis quelques jours autour de sa tente élus et médias. Le samedi 16 juillet, une manifestation est prévue sur le site de Saint-Allouestre avant un mouvement national de plus grande envergure attendu pour le mercredi 20 juillet avec à la clé un barrage sur la Nationale 24 entre Lorient et Rennes. Une action coup de poing des acteurs du photovoltaïque français, pour se faire entendre et surtout pour montrer de la solidarité envers Franck LeBorgne qui paie aujourd’hui de sa personne pour redonner l’envie de se battre à une filière dénigrée et meurtrie. Comme un retour de flamme dans la torpeur de l’été !

Encadrés

Détails techniques du Traky

Traky est le premier suiveur solaire deux axes, totalement autonome adapté à des installations de 1 KW à plusieurs Mégawatts crête. Sa conception permet une mise en Å“uvre rapide et simple et ne nécessite pas l’emploi de massif béton ou de génie civil. Ce procédé limite l’impact de l’installation sur le sol, mais assure malgré tout une résistance mécanique à l’arrachement jusqu’à des vents constant de 200 km/h. Respectueux de l’environnement, sa petite taille limite l’impact visuel et permet de réaliser des installations discrètes s’intégrant parfaitement dans le paysage.

Le Comité de règlement des différends et des sanctions de la CRE rend une décision

Le Cordis (Comité de règlement des différends et des sanctions) de la CRE (Commission de régulation de l’énergie) a suspendu, dans une décision rendue le 29 avril 2011, plus de 160 demandes de producteurs photovoltaïques qui souhaitent voir annuler le refus de raccordement que leur a opposé ErDF dans le cadre du moratoire qui a touché la filière entre début décembre et début mars. Le Cordis instruira les dossiers après « l’intervention de la décision du Conseil d’État sur les requêtes tendant à l’annulation du décret » du 9 décembre 2010 introduisant ce moratoire, précise-t-il. Ces requêtes sont portées par le collectif « Touche pas à mon panneau photovoltaïque » et Enerplan. « C’est une décision très encourageante, qui intervient dans un contexte politique et juridique sensible et complexe », estime Arnaud Gossement. L’avocat salue le fait que le Cordis « s’est estimé compétent pour statuer sur les demandes des producteurs qu’il a accepté d’instruire ». « ErDF avait conclu, au terme d’un débat très nourri, au rejet pur et simple de ces saisines », précise-t-il. Toujours selon l’avocat, « le Cordis a refusé de considérer, comme l’y a pourtant invité ErDF, que la décision par laquelle le Conseil d’État a, le 28 janvier 2011, rejeté la requête en référé tendant à la suspension du décret du 9 décembre 2010, devait être ‘suivie’ d’un rejet de toutes les demandes portées devant le Cordis ». Enfin, analyse encore l’avocat, « cela signifie que les demandes déposées de la Cordis posent un véritable problème de droit et qu’il n’est pas possible, dans ce dossier, de faire abstraction de la question de la légalité du décret du 9 décembre 2010 ».
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