L'avenir du photovoltaïque français passe par l'autoconsommation

Petit à petit, l’idée fait son chemin. Avec la baisse des prix des modules photovoltaïques, certes contrariée par les mesures antidumping à l’encontre des industriels chinois, et la hausse attendue des prix de l’électricité, l’autoconsommation de l’électricité solaire est aujourd’hui plébiscitée comme l’un des relais de croissance du photovoltaïque en France. « Une évolution, voire même une révolution » dixit la ministre Delphine Batho qui admet une adhésion bienveillante au principe d’autoconsommation. Reste maintenant à passer de l’idée à la technique, du concept à la réalisation concrète. Etat des lieux des réflexions en cours !

Lors du colloque du SER le 28 mai dernier à la Défense intitulé « Repenser l’énergie localement », le nouveau président de l’Ademe, Bruno Léchevin, a prononcé un discours qualifié de « discours fondateur pour l’autoconsommation » par de nombreux observateurs présents. Pour Bruno Léchevin, l’autoconsommation relève du truisme énergétique : « Cette évolution doit permettre de préparer l’évolution vers un financement non subventionné du PV devenu compétitif et de réduire la pression sur les réseaux, à la fois en termes d’investissement et de conditions d’exploitation.: de ce point de vue, l’autoconsommation peut représenter à relativement court terme un moyen de faciliter l’intégration du photovoltaïque sans mettre à mal les réseaux actuels, sous réserve bien entendu de trouver les bonnes incitations tarifaires et sans remettre l’équilibre de l’économie générale du système » a-t-il proclamé.

L’autoconsommation doit satisfaire le désir d’autonomie tout en s’inscrivant dans l’infrastructure du réseau

Quelques minutes auparavant, dans son discours d’ouverture du colloque, la ministre Delphine Batho s’était montré très favorable à l’autoconsommation, y voyant plus qu’une évolution mais bien une « révolution » à mener. « Ce qui est frappant lorsque l’on interroge les citoyens, c’est leur désir d’autonomie. Déjà à l’échelle de la France, ils souhaitent moins de dépendance aux énergies fossiles et ils veulent être acteur de la transition énergétique » confie la ministre. Dans ce contexte, l’autoconsommation d’électricité solaire photovoltaïque ne peut être que plébiscitée par un grand public séduit par cette idée d’auto approvisionnement. Pour ce faire, le gouvernement doit mettre en place des incitations positives. « Je me prononce pour une adhésion bienveillante par rapport à l’autoconsommation mais attention tout de même. Cette autoconsommation ne veut pas dire autarcie, elle n’est pas synonyme de remise en cause du réseau national ou de la péréquation. Nous devons entreprendre une discussion de fonds et une expertise sur l’autoconsommation et la problématique des réseaux. Tout ne sera pas possible. Il faudra faire des choix » a poursuivi Delphine Batho qui en a profité pour interpeller la profession : « Accompagnez-nous, donnez-nous les moyens d’y parvenir. Je serai attentive à toutes vos propositions » a-t-elle martelé. Les professionnels de la filière solaire sont donc incités à remettre plusieurs fois sur le métier leur ouvrage. Le bureau d’études Tecsol à Perpignan a été précurseur en matière d’autoconsommmation. Depuis un an environ, il a lancé des études de consommation électrique pour mettre en place des cartographies sur plusieurs bâtiments du Pôle Economique Saint-Charles pour l’opération appelée Saint-Charles 2.0. « L’objectif est de dimensionner le solaire en fonction d’une base de consommation sans jamais atteindre la surproduction. L’essentiel de ce qui est produit devra être consommé sur place, dans une logique de circuits courts. De nombreux entrepôts climatisés dédiés à l’activité fruits et légumes fonctionnent 24h/24h, sept jours sur sept. Les besoins sont constants. Nous allons travailler à calibrer tout cela pour l’optimiser au mieux » assure André Joffre. Techniquement, l’élément central de la définition de l’autoconsommation repose sur le lien fort entre le dimensionnement du système photovoltaïque et ses plages journalières de production avec le besoin électrique du ou des consommateurs.

Du bâtiment à la commune en passant par le quartier

De fait, la pertinence de l’autoconsommation dépend aussi de son échelle d’application et, par extension, des usages. Au sein d’une maison d’habitation, des études ont montré que la part autoconsommée oscille entre 20 et 40% de la consommation de la maison. Cependant, dans le cas du couplage d’une installation photovoltaïque avec un système de gestion de consommation ou de stockage afin de réaliser un transfert des usages vers la pointe du soir, cette part peut être augmentée de manière très significative. A l’opposé et dans certains cas, la courbe de consommation d’un bâtiment tertiaire ou d’un centre commercial peut être naturellement synchrone avec la production photovoltaïque. Dans ces cas précis, comme ceux étudiés par le bureau d’études Tecsol, un dimensionnement adéquat permet d’autoconsommer la quasi intégralité de l’électricité produite, sans même prévoir de transferts de consommation ou de dispositif de stockage. « Demain, des modèles rapprochant production et consommation s’envisageront naturellement à l’échelle d’un bâtiment voire d’un groupe de bâtiments : ainsi par exemple, des bâtiments BEPOS (bâtiment à énergie positive) pourront fournir leur production excédentaire d’énergie à des bâtiments plus anciens, moins efficaces et ne disposant pas des surfaces nécessaires à l’implantation de panneaux photovoltaïques. Mais c’est également à l’échelle des territoires que des systèmes innovants à fort ancrage local pourront être imaginés : de l’îlot au quartier, voire à la commune ou à la communauté de communes » pronostique Bruno Léchevin.

Le quartier, la bonne échelle de l’autoconsommation grâce à la mixité des usages

Pour Christian Grellier, directeur Recherche et Innovation chez Bouygues Immobilier, l’échelle du quartier apparaît comme particulièrement pertinente : « De notre côté, en matière d’autoconsommation, la bonne échelle semble être celle du quartier au sein duquel la mixité des usages permet de répartir le plus efficacement l’énergie produite. Nous testons cela sur un éco-quartier à Chatenay-Malabry ou sur le projet Confluence à Lyon. Avec pourquoi pas des optimisations avec du stockage. Martin Bouygues vient ainsi de signer un contrat avec Carlos Ghosn, patron de Renault Nissan, pour l’intégration des batteries de seconde vie issues du monde de l’automobile dans les solutions de stockages dans le bâtiment ». Dans le cadre de l’implantation de systèmes photovoltaïques sur des bâtiments, si le bâtiment porteur du système n’a pas besoin d’électricité à l’instant où le système produit, il existe une forte probabilité qu’un bâtiment voisin aura quant à lui besoin d’électricité à ce moment précis. On parle alors d’autoconsommation au périmètre d’un quartier ou d’une commune.

Autoconsommation rime avec mutualisation

Justement, pour analyser l’impact d’un système photovoltaïque sur la consommation d’une commune ou d’un quartier, les experts du syndicat SER-SOLER ont simulé la courbe de consommation électrique d’une commune de 7000 habitants située dans le Sud de la France. Près de 3500 foyers, environ 300 locaux tertiaires (bureaux, écoles, administrations, 138 locaux commerciaux et une petite zone d’activité, telle est la photographie du bourg en question. Dans ce cas précis, il est envisagé d’installer près de 2,5 MW de systèmes photovoltaïques dans la commune, entre centrale au sol, centrales de 100 kW et résidentiel en moins de 9 kW, sans que l’électricité produite ait besoin d’être évacuée en dehors de cette commune. A l’échelle de la commune, nous dit SER-SOLER, le photovoltaïque apparaît comme un mécanisme de réduction de la puissance appelée sur le réseau électrique durant la journée. En été, entre 10 heures et 16 heures, la production solaire couvre quasiment l’ensemble des besoins. Couplé à des systèmes de gestion de la charge, le photovoltaïque pourrait répondre à des demandes d’usage transférées de la pointe de consommation du soir vers l’après midi. Par ailleurs, la mise en place de systèmes de stockage au sein des bâtiments ou d’une flotte de voitures électriques ou centralisé pour l’ensemble de la ville, permettrait d’accroître la capacité photovoltaïque installée et de couvrir la pointe du soir. Au travers cet exemple, on constate l’intérêt d’associer plusieurs types d’utilisateurs qui sont mieux à même de gérer les fluctuations de consommation de chacun. Autoconsommation rime avec mutualisation

La rentabilité en question

Des solutions techniques se profilent donc à l’horizon. Reste le principe de réalité, sonnant et trébuchant. Bruno Léchevin s’en fait le porte parole : « En France, bien que le débat sur l’autoconsommation soit à l’ordre du jour, l’autoconsommation n’est pas rentable financièrement dans les conditions actuelles. Avec un prix de détails de l’électricité relativement faible, le modèle économique de l’autoconsommation ne va pas de soi, surtout pour les particuliers qui bénéficient encore de tarifs au niveau où ils se situent à ce jour. Pour rentabiliser au mieux l’investissement dans ce contexte, mieux vaut vendre l’intégralité de la production. Autoconsommer signifie donc actuellement « abaisser drastiquement la rentabilité de l’installation photovoltaïque ». Le président de l’Ademe poursuit : « Toutefois, le prix des systèmes photovoltaïques baisse continûment avec une accélération ces dernières années, grâce à la réduction des coûts de production des divers composants, aux économies d’échelle, au retour d’expérience, et à l’innovation. A l’inverse, les coûts de production de l’électricité provenant des filières conventionnelles augmentent de manière régulière. Dans ce contexte, le coût de production de l’électricité photovoltaïque devrait être comparable au prix de gros de l’électricité autour de 2030 et devrait être inférieur au prix de vente entre 2015 et 2020 selon les marchés. Dès lors, le modèle économique de l’autoconsommation pourra progressivement se mettre en place naturellement ».

Quelles primes à l’autoconsommation ?

Reste qu’avant d’atteindre cette fameuse parité réseau et pour stimuler l’autoconsommation, des mécanismes intermédiaires vont devoir être mis en place. « Quels sont les meilleurs moyens de soutenir l’autoconsommation sans freiner le déploiement du photovoltaïque ? Faut-il faire appel à des boni pour l’électricité autoconsommée en attendant la baisse des coûts du photovoltaïque ? Dans certaines zones comme dans les DOM peut-on envisager des tarifs propres à l’autoconsommation associés à des tarifs propres à l’injection de l’excédent ? Autant de systèmes qui restent à imaginer et valider ». Deux mécanisme sont plébiscités par le syndicat SER-SOLER : La Prime au kWh consommé et le net metering. Quid du mécanisme de prime au kWh consommée ? Dans ce système, chaque kWh produit et immédiatement consommé par le producteur/consommateur lui donne droit à un bonus de quelques centimes. Les kWh non consommés et injectés dans le réseau sont quant à eux rémunérés par un tarif spécifique. Avec l’atteinte progressive de la compétitivité et sans révision des dispositifs existants, le bonus et le tarif spécifique pourront être amenés à diminuer, et le bonus à disparaître. Pour le net metering, on considère que le producteur/consommateur reçoit un crédit pour chaque kWh qu’il produit en sus de sa consommation propre et qu’il injecte sur le réseau. A chaque fin de période de facturation, il est fait un bilan de la production et de la consommation du site : Si la consommation est supérieure à la production injectée, le consommateur paie des kWh supplémentaires consommés. Dans le cas contraire, les crédits dus pour les kWh injectés sont reportés à la période suivante. Arnaud Mine, président de SER-SOLER évoque d’autres pistes que la seule bonification du tarif qui continue à peser sur la CSPE (voir encadré). « Pourquoi ne pas imaginer de favoriser l’autoconsommation à travers un bonus sur le Coefficient d’Occupation des Sols, un mécanisme de bon sens. Dans ce cadre de l’autoconsommation, il faut peut-être aussi réfléchir à l’éligibilité des systèmes photovoltaïques aux Certificats d’Economies d’Energie comme le sont les chauffe-eau solaires. Ce débat ne serait-il pas aussi l’occasion de se délester de l’obligation d’intégrer au bâti et de mettre l’effort sur l’évolution de la prime à l’autoconsommation ? » lance le président de SER-SOLER.

Gare aux effets pervers !

Pour André Perrotin, président d’Evasol, le passage à l’autoconsommation doit passer par une solution simple et juste. « Je prône une prime de 1500 € au kWc installé avec un plafond de 3 kWc. La prime s’élèverait à 4500 € pour un kit de 3 kWc en lieu et place des 25 000 € qui pèsent pendant 20 ans sur la CSPE. Le TRI serait d’une dizaine d’années pour le client et cela sans réellement tenir compte des probables augmentations à venir des factures d’électricité. Cette idée de prime au kWc est plus juste car elle est décorrélée des niveaux d’ensoleillement et qu’elle place sur un pied d’égalité le client de Lyon et celui de Marseille. La prime fixe au kWc évite également les dérives de commerciaux indélicats qui vendent des productions totalement virtuelles pour faire croire à la poule aux Å“ufs comme l’on voit dans le petit éolien en ce moment ». Ce dérapage possible vers certains effets pervers générés par l’autoconsommation a également été souligné par Bruno Léchevin en ces termes : « Comment éviter les écueils en gardant la priorité aux économies d’énergie et ne pas inciter à la surconsommation ? Par exemple : Soutenir trop fortement l’autoconsommation pourrait risquer d’inciter les propriétaires de systèmes photovoltaïques à décaler leur consommation au moment de la production photovoltaïque, voire à acquérir des équipements pour un fonctionnement diurne. C’est un fait, la « rémunération » de l’électricité autoconsommée peut être perçue comme une incitation à la consommation. Dans un autre registre, si une partie de la consommation est effacée par le photovoltaïque, alors que les besoins de puissance à la pointe restent identiques, cela peut avoir des conséquences sur le réseau et ses besoins de financement ».

L’autoconsommation réduit la CSPE

Se pose alors la question des bénéfices d’un tel modèle de développement : bénéfices techniques sur le réseau électrique, bénéfices économiques sur le coût pour la collectivité, notamment par rapport à la CSPE ? Le président de l’Ademe apporte là encore son écot : « Pour la collectivité, un soutien bien dimensionné à l’autoconsommation représente une économie plutôt qu’une dépense supplémentaire. Pour inciter les consommateurs-producteurs à autoconsommer, l’idée est de réduire le tarif d’achat à l’injection tout en dimensionnant le bonus à l’autoconsommation de façon suffisante pour que la rentabilité de l’installation reste correcte pour le producteur. Cette rentabilité pour le producteur étant en partie basée sur l’électricité non achetée sur le réseau, il en résulte que le coût pour la collectivité, financé par le consommateur par la CSPE est diminué par rapport à une situation de revente totale. L’autoconsommation pourrait ainsi constituer une solution triplement gagnante, notamment dans les DOM si on mettait en Å“uvre les incitations tarifaires correctement dimensionnées :
gagnant pour le producteur, qui sans des dispositions permettant l’autoconsommation, n’aurait plus d’intérêt à investir dans son installation photovoltaïques, en raison de déconnexions trop fréquentes liées à un afflux temporaire d’électricité solaire ;
gagnant pour le gestionnaire de réseau, qui voit facilitée sa tâche d’équilibre du réseau et de maintien des plans de tension ;
gagnant pour la collectivité, qui limite les dépenses de CSPE sur 2 volets :
o la mesure coûte moins cher que le tarif d’achat photovoltaïque actuel
o la mesure diminue la consommation d’électricité, et donc les charges de péréquation dans les DOM

Aller vers le ré-enchantement

Le discours référence de Bruno Léchevin s’est achevé par une réflexion quasi philosophique sur l’énergie solaire autoconsommée. Une contribution apte à relancer l’optimisme ! « Si l’autoconsommation est une bonne idée, c’est me semble-t-il aussi une belle idée car apte à susciter l’adhésion voire l’enthousiasme, à une époque où, dans d’autres secteurs, les circuits courts, la production et consommation locale sont de plus en plus plébiscités. Au-delà de l’anecdote, déployer largement les EnR suppose une certaine forme d’enchantement ou de ré-enchantement de tous, ne serait-ce que pour soutenir l’acceptabilité des efforts financiers à pérenniser et des implantations territoriales à venir. L’autoconsommation pourra être une petite contribution parmi d’autres pour ré-enthousiasmer nos concitoyens par rapport aux énergies renouvelables et ne pas leur laisser à penser qu’il ne s’agit toujours que de débats sur des mesures tarifaires ou des aménagements réglementaires ». L’autoconsommation comme un nouveau souffle pour la filière solaire !

Encadré

La problématique du prix du transport et de la distribution de l’électricité

« Sur l’autoconsommation, nous raisonnons avec des Å“illères. Posons la bonne question. Quelle est la valeur du kWh photovoltaïque que je distribue à mon voisin à deux mètres de ma centrale et le prix du kWh qui vient d’une centrale nucléaire à deux cents kilomètres de là ? » s’interroge Arnaud Mine. Le fameux TURPE (tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité) est pourtant identique sur l’ensemble du territoire national. Il est également indépendant de la distance parcourue par l’énergie entre le site producteur et le site consommateur. Nous avons initié un travail de fonds sur ce coût réseau de l’autoconsommation, poursuit Arnaud Mine. Et le SER de citer plusieurs exemples de mutualisation de la consommation où le producteur et/ou les consommateurs s’acquittent d’un droit forfaitaire d’accès au réseau (Californie, Mexique). Dans la même veine, les professionnels du solaire plébiscitent une évolution du mode de calcul de la CSPE (contribution au service public de l’électricité) afin qu’elle prenne enfin en compte les coûts de transport et de distribution de l’électricité limités dans le cas de l’autoconsommation. « Sans même parler de qualité environnementale. Et il y aurait beaucoup à dire » conclut le président de SER-SOLER.

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