Jean-Pierre Joly : « Le solaire est symptomatique des problématiques françaises »

Directeur de l’Institut National de l’Energie Solaire (INES) depuis 2008, Jean-Pierre Joly, 64 ans, tire sa révérence à l’aube de l’été 2015. Ce spécialiste des matériaux silicium a été l’un des acteurs du fantastique essor de l’énergie solaire lors de cette dernière décennie. Il nous livre son expérience mais aussi ses frustrations et ses espoirs sur la filière française photovoltaïque à l’heure du boom mondial du solaire. Entretien sans concession !

Plein Soleil : Les actes fondateurs de l’INES ont été signés en juillet 2006 entre les divers partenaires de l’Institut. Vous oeuvriez vous-même, depuis quelques années, à la création de cette instance pour laquelle vous prendrez la direction en 2008, en plein effervescence du marché solaire français. Une belle période ?
Jean-Pierre Joly : C’est vrai. Nous avions les yeux qui pétillaient. L’effervescence était double : sur le marché avec les tarifs d’achat mis en place par Dominique de Villepin en juillet 2006 mais aussi chez nous à l’INES avec une montée en puissance de nos partenariats industriels avec les PME du secteur, en amont et en aval de la filière. En tous les cas, il ne faisait aucun doute que la création de l’INES avait du sens, qu’elle répondait à un besoin technologique. Nous étions sous le feu des projecteurs. On s’est même mis à rêver un peu à une grande aventure scientifique et industrielle tant la dynamique était forte.

PS : Et puis patatras, le moratoire a brisé cet élan. Comment l’avez-vous vécu ?
JPJ : Cela a été un coup d’arrêt terrible d’autant que l’Allemagne s’est mise à ralentir le rythme dans le même temps. Heureusement, l’INES ne s’était pas cantonné au cÅ“ur de la meule avec la seule optimisation des cellules et des matériaux. Pour faire face à ce contexte difficile, nous avions fait un bon choix de départ en optant pour la diversification d’activités sur toute la chaîne de la filière : en amont avec les équipements et les matériaux (le silicium, les fours, les creusets, les fils de découpe) et en aval avec un pôle systèmes et stockage et un pôle Energétique du bâtiment en lien avec le CSTB. Sans oublier le volet solaire thermique sous l’impulsion de Philippe Papillon.

« Nos élites n’ont pas perçu le potentiel du solaire »

PS : On imagine tout de même qu’il y a eu beaucoup de frustrations ?
JPJ : La frustration n’était pas tant sur la situation énergétique de la France mais sur le sentiment que nous étions en train de rater une opportunité d’un futur développement à l’international d’une énergie qui allait finir par s’imposer partout. Et c’est d’ailleurs le cas. Nous étions au plus près des acteurs de terrain mais nous avions l’impression de prêcher dans le désert. A ce titre, je me souviens d’une rencontre d’Arnaud Montebourg et de Delphine Batho avec une cinquantaine de professionnels de la filière. Autour de la table, ces chefs d’entreprises et de PME qui créent l’emploi dans le pays se sont entendus dire que la France n’était pas à la hauteur, que la filière solaire se résumait aux capteurs chinois. Il y avait là une certaine méconnaissance du sujet de la part du politique. En fait certaines élites ont encore du mal à percevoir le potentiel du solaire et elles ont freiné la mise en place d’une stratégie d’investissement sur le long terme dans le domaine. Habituées aux moyens usuels et lourds de production d’énergie, elles ont du mal avec les renouvelables ou pire elles n’y croient pas. Elles défendent plus volontiers les technologies du passé pour lesquelles il existe en même temps et assez naturellement des intérêts à défendre.

PS : Le solaire n’a donc pas réussi à séduire les élites ?
JPJ : Je trouve à ce titre que le solaire est symbolique et symptomatique des problématiques du pays. Notre filière émergente était portée des PME, par des Tecsol, des Urba Solar, des Solairedirect, des VoltecSolar. Il y avait nécessité à se l’approprier à l’échelle locale. Problème, en France, seuls sont visibles les grands groupes portés vers l’international. La France a dû mal à composer avec ça !

PS : Le train est-il définitivement passé pour l’industrie solaire française en matière de fabrication de composants photovoltaïques ?
JPJ : Le créneau est étroit, le risque que tout disparaisse est présent, mais tout demeure rationnellement possible. Beaucoup de technos ont été inventées en Europe. Il n’y a pas de raisons fondamentales à l’inéluctable fuite de la production en Asie. L’automatisation poussée des process et notre savoir-faire peuvent nous permettre d’espérer. Il existe encore des possibilités. Les Américains en font le pari notamment Elon Musk, le patron de Tesla, via sa start-up Silevo couplée à la société Solar City et une usine de batteries de 1 GWh. Ils vont lancer une fabrication de masse de cellules, avec une technologie avancée proche de l’hétérojonction que nous avons développée de notre côté depuis quelques années déjà.
Le pari de l’hétérojonction ?

PS : L’hétérojonction reste toujours d’actualité ? Il me semblait qu’Henri Proglio l’avait définitivement enterrée arguant que cela ne fonctionnait pas ?
JPJ : Je peux vous certifier que l’hétérojonction marche technologiquement très bien. Nous obtenons des rendements au-dessus des 22%. Cela reste un bon cheval pour de nouveaux entrants dans le secteur avec des coûts de fabrication réduit, une diminution du BOS et de bons coefficients de température. Alors que dans le même temps, les chinois se focalisent fort logiquement sur le PERC (Passivated Emitter Rear Cell), à savoir le raffinement de la face arrière des cellules avec une remise en cause plus légères des équipements de fabrication. Je pense qu’il est encore possible de réussir, en Europe, le pari industriel au GW avec cette technologie gagnante. Si le financement suit

PS : Elon Musk investit donc dans l’hétérojonction ?
JPJ : Leur technologie est en effet très similaire. Ils appellent cela le Tunneling junction, une techno originale qui ne l’est pas tant que cela. Elon Musk annonce par ailleurs la création d’une usine GW sur cette techno. Si ce monsieur touche-à-tout qui a pas mal réussi dans tout ce qu’il a entrepris s’intéresse à ça, nous devrions peut-être le regarder de près.

PS : On risque de rater l’hétérojonction mais aussi les couches minces avec l’abandon de Nexcis par EDF. C’est une malédiction ?
JPJ : Nexcis, c’est effectivement la même chose. Vous savez, développer une technologie complexe prend du temps. De plus, la filière couches minces CIGS est un peu à part. Mais il faut investir, prendre des risques. EDF a décidé d’arrêter. C’est un peu triste.

La bataille des modernes contre les anciens

PS : En quoi l’industrie de l’énergie va-t-elle changer ?
JPJ : Les énergies renouvelables et le solaire en particulier change incontestablement la donne sur le plan des utilités et des structures d’entreprises. C’est la bataille des modernes contre les anciens. Aujourd’hui en Allemagne, 50% des nouvelles capacités de production d’énergie, éoliennes, champs photovoltaïques, sont entre les mains de structures coopératives ou collaboratives. Le Big 4 (‘E.On, RWE, EnBW et Vattenfall) a eu beaucoup de mal de suivre. Par ailleurs, ceux qui n’investissent pas dans les process d’autoproduction et d’autoconsommation finiront par mourir. De nouveaux modèles sont à inventer. E.On a compris ces nouvelles règles en séparant la production et le service façon Solar City.

PS : Comment réagissent nos grands groupes français ?
JPJ : Les anciens, tenants du modèle centralisé, ont beaucoup à perdre face à cette révolution disruptive. Ils sont réticents mais ne peuvent que réagir face à cette lame de fonds. Engie l’a bien compris et propose des solutions à la transition énergétique avec son « Power to gas », un couplage entre des réseaux de biogaz renouvelables, les réseaux électriques, le transport et le numérique. EDF, dans certaines de ses filiales et dans ce développement, se prépare aussi finalement à cette transition.

PS : Qui sortira vainqueur de l’histoire ?
JPJ : On voit monter en puissance de nouveaux entrants un peu comme Elon Musk aux Etats-Unis mais aussi une multitude de boîtes très innovantes. Car ne nous leurrons pas ! Le gros des emplois à venir ne se fera pas dans la fabrication des modules mais dans l’installation des capteurs et dans les services, à travers une approche transversale autour de la réglementation thermique 2020, l’arrivée du BePOS et la mobilité : autoproduction, autoconsommation, véhicule électrique, PAC, froid avec, à la clé, des services de pilotage intelligent appuyé par le digital à l’instar de Comwatt en France soutenue par de nombreuses PME de la filière solaire. L’avenir est là. Des entreprises vont s’engouffrer sur ces marchés locaux au plus près des territoires dans une logique décentralisée.

Encadrés

Bio Express : Jean-Pierre Joly
Jean-Pierre Joly est né à Besançon en 1951. Après des études à l’INP de Grenoble, il fait carrière dans la micro-électronique. Dès la fin des années 90, il commence à s’impliquer dans la problématique des matériaux pour le solaire. De 2005 à 2008, il se consacre aux technologies solaires et participe activement à la montée en puissance de l’INES. Il en prendra la direction en 2008. A 64 ans, il prend une retraite bien mérité et va pouvoir consacrer un peu plus de temps à ses trois enfants et ses six petits-enfants.

Historique de l’INES
L’idée d’un Institut National de l’Énergie Solaire est née en 1998 de la volonté d’élus, notamment Michel Barnier et Jean-Pierre Vial, de créer un centre de référence dans le domaine du solaire. La mise en route de l’INES depuis 2005 a résulté de la convergence de quatre facteurs déterminants : la volonté indéfectible des élus (Département de la Savoie et Région Rhône-Alpes), l’expertise du tissu associatif avec, depuis vingt ans, le travail unique de l’ASDER, la présence historique d’industriels pionniers du secteur (Clipsol, Photowatt), et l’investissement de grands laboratoires de recherche, au premier rang desquels le CEA, le CNRS et l’Université de Savoie. Tous les partenaires de l’INES sont aujourd’hui réunis au sein de son Comité de pilotage qui en assure la gouvernance et qui est placé sous la coprésidence des deux collectivités.

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