Basée à Perpignan, au cÅ“ur du sillon transfrontalier, Tecsol est en position d’observer l’approche espagnole de l’ACC. Alexandra Pocholle-Batlle , secrétaire générale de l’entreprise, dresse un état des lieux contrasté des dynamiques énergétiques des deux pays.
L’Espagne ambitionne 100 % d’énergies renouvelables (ENR) à l’horizon 2050. Un cap assumé, en rupture avec la dépendance française au nucléaire. Ce choix politique se traduit par une forte dynamique de l’autoconsommation : 8 GW installés en 2024, soit le double de la France. Toutefois, l’année 2024 marque un ralentissement en Espagne, avec seulement +1,4 GW contre près de +2 GW en 2023, en raison d’une conjoncture plus calme après la crise énergétique.
La quasi-totalité des nouvelles installations en autoconsommation (75 %) concerne aujourd’hui les industriels et le C&I, et les projets avec batteries intégrées se multiplient. L’objectif fixé par l’équivalent espagnol de la PPE — 19 GW d’ACC d’ici 2030 — reste ambitieux, mais le pays accuse du retard. Comme en France, les défis sont nombreux : digitalisation administrative, gestion des surplus et coordination entre gestionnaires de réseau, dans un système électrique en partie saturé.
Le récent blackout ibérique a cristallisé ces fragilités. Il n’est pas imputable aux ENR, mais résulte d’une chaîne de dysfonctionnements : surtension mal absorbée, faibles capacités de régulation thermique, mauvaise gestion transfrontalière… L’incident révèle la complexité croissante d’un réseau européen interconnecté.
Du côté de l’ACC, le cadre réglementaire espagnol est moins développé qu’en France même si 1 % des installations en autoconsommation (donc plusieurs milliers) y ont recours selon l’UNEF. Le modèle repose sur une répartition statique entre participants, avec des contraintes fortes : distance maximale de 500 m à 2 km, même référence cadastrale, même poste HTA/BT. La compensation financière est plafonnée et administrativement lourde. L’accès est d’autant plus restreint que le compteur de production est obligatoire, excluant les systèmes hybrides.
Face à cette complexité, Tecsol mise sur les projets européens pour faire progresser les pratiques. Dans le cadre du programme EKATE (Interreg Poctefa), l’entreprise a co-construit avec des partenaires français, espagnols et andorrans plusieurs démonstrateurs. Objectif : mutualiser les retours d’expérience et expérimenter la gestion des communautés via l’IA. Côté Français, une opération emblématique portée par l’école d’ingénieurs ESTIA (200 kWc en autoconsommation hybride) inspire ainsi les partenaires espagnols, pour des projets en ACC à Barcelone et San Sebastián.
Mais l’innovation technique ne suffit pas. Ce qui bloque ou débloque les projets, ce n’est pas l’ensoleillement, mais la volonté politique. En témoignent les dynamiques observées dans le Grand Est français, pourtant peu solaire mais très engagé via Climaxion ou l’association Sol Solidaire qui voit nombre de ses projets en ACC pour lutter contre la précarité énergétique éclore sur ce territoire.
Si la France fait figure de pionnière sur l’ACC — périmètre étendu, implication d’Enedis — elle reste un pays de contradictions. Un jour on inspire nos voisins, le lendemain on parle de moratoire. La stabilité réglementaire reste donc le nerf de la guerre. Car si le soleil est une ressource infinie, la confiance des acteurs, elle, dépend des signaux envoyés par les décideurs.