Enquête : Une nouvelle bulle photovoltaïque menacerait-elle la France ?

De grands groupes financiers, étrangers pour la plupart, rachèteraient d’anciens projets photovoltaïques (nantis de permis de construire pour l’essentiel) et seraient en train d’effectuer, plus spécifiquement dans le Sud de la France, des demandes massives d’autorisations de parcs solaires au sol de très grandes puissances.

Le tout sur la base actuelle du tarif T5 fixé à 10,51 centimes d’euro. Déposées auprès de RTE, ces dossiers de plusieurs centaines de MW feraient donc florès dans les listes d’attente. RTE dément sans pour autant donner de chiffres. De quoi entretenir le flou autour de cette nébuleuse !

A l’instar de certains thaumaturges dans le dopage sportif, les spins doctors du financement du photovoltaïque ont souvent un coup d’avance face aux instances réglementaires. Jean-Louis Borloo l’a appris à ses dépends. Delphine Batho pourrait connaître un même sort si elle n’y prend garde. De quoi s’agit-il ?

Une bulle colossale en formation ?

Ces dernières semaines, des hommes d’affaires bien avisés sillonnent le grand Sud de la France à la recherche du Graal. Ils rachèteraient des projets photovoltaïques de grande puissance déjà ficelés, avec des permis de construire délivrés en bonne et due forme. Ou pas ! Ces projets seraient en effet déposés en masse sur les listes d’attente de RTE qui, comme chacun sait, acceptent les dossiers même dénués de permis de construire. D’aucuns évoquent même une « bulle colossale » à venir, un « pipe démentiel » basé sur le T5 à 10,50 centimes d’euros qui se comptera bientôt en GW. Dans une logique hors appels d’offres ! Voilà qui montrerait au moins que le photovoltaïque est déjà rentable avec le tarif actuel. Oui mais voilà, à quel prix ? « Ces projets se feront avec 100% de matériels chinois et presque autant de personnels étrangers. Ces groupes spécialisés sont en capacité d’acheter des panneaux à 45 centimes le Wc et de construire des centrales de 200 MW pour 200 millions d’euros. De notre côté, nous sommes incapables de sortir un panneau à 45 centimes le Wc. Nous sommes à des niveaux de tarifs auxquels l’industrie européenne ne peut pas se positionner » déplore Yann Maus, le PDG de Fonroche Energie qui a alerté la ministre Delphine Batho sur ce phénomène. « Il poursuit : « Il est urgent de mettre une limite au robinet. On le sait bien, dans le secteur, tout ce qui n’est pas contrôlé dérape. Il faudrait supprimer le T5 et le réintégrer en tarif dans les appels d’offres » suggère-t-il. Alors qu’en est-il vraiment de cette bulle ? L”inquiétude de Yann Maus est-elle fondée ou relève-t-elle de la seule rumeur ? D’autres acteurs contactés attestent de mouvements allant dans le sens de la spéculation. Avec des signaux qui ne trompent pas.

Du cash libéré pour développer des centrales PV phase 2

Le département des Landes, un bon laboratoire sur le sujet, serait particulièrement dans le collimateur. Le personnel en charge des autorisations serait, dit-on, à nouveau assailli. Les alertes nationales des marchés publics regorgeraient de demandes d’autorisations et d’enquêtes sur des projets de parcs au sol au rythme d’environ deux par semaine. Autre signal qui prête à réflexion. De nombreuses sociétés effectuent aujourd’hui des audits techniques pour garantir et assurer des transactions de grande ampleur dans le solaire. Des intermédiaires financiers disposent ainsi de mandats de vente d’actifs du PV phase 1 pour récupérer des liquidités afin de développer sous 24 mois des projets PV au sol de phase 2 basé sur le tarif T5. Même EDF EN, mal servie par les appels d’offres gouvernementaux, semblerait se positionner à nouveau sur le créneau, selon certaines sources. Car les places sont à prendre tout de suite et sans attendre. En effet, l’article 2 du décret 2012-533 du 20 avril 2012 concernant les futurs schémas de raccordement des énergies renouvelables (voir encadré) stipule bien que le gestionnaire du réseau public de transport élabore le schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables en tenant compte des objectifs qualitatifs et quantitatifs de développement de la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable, fixés par le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie en application du 3° du I de l’article L. 222-1 du code de l’environnement. Ces schémas sont sensés éviter les effets de seuil de saturation des postes et permettent de lisser la pente. Il n’en demeure pas moins qu’à coups de centaines de MW, le réseau pourrait avoir par endroit du mal à absorber la production si les projets se multipliaient sur un territoire. « C’est notamment le cas dans le Sud-Est, dans la vallée de la Durance qui ne sait pas aujourd’hui accueillir du photovoltaïque. Des projets sont en cours d’instruction pour analyser cela» analyse Jean-Philippe Bonnet, directeur de l’accès au réseau RTE, l’homme providentiel pour en savoir plus sur l’hypothétique bulle.

Objectif : Publier les listes d’attente EnR en 2013

« Je ne vous cache pas que l’alerte nous a été remontée. Aujourd’hui, toutes les demandes transitent par mes équipes et les listes d’attente n’ont pas bougé. Il est vrai que de temps à autre, quelques études exploratoires sur l’ordre de grandeur du coût de raccordement nous sont demandées, et je vous le confirme, sur des projets de fortes puissances. Mais pour l’heure, nous n’avons pas de Propositions techniques et Financières (PTF) en cours d’instruction. La tendance est stable si ce n’est quelques entrées dont on ne sait si elles vont aboutir. Nous sommes plutôt en ce moment en phase de mise en service de grandes centrales lancées avant le moratoire comme Toul» désamorce sibyllin Philippe Bonnet. La bulle semble relevée du phantasme même si quelques entrées sont tout de même évoquées Mais pour quel niveau de puissance cumulée ? Rien ne filtrera, c’est le black-out, sans mauvais jeu de mot. RTE ne divulgue pas à la presse les listes d’attente pour des raisons historiques de confidentialité sur fond de concurrence acharnée. « Sur certains secteurs comme les filières de production de gaz ou le nucléaire, nous n’avons que peu de projets avec un minimum d’acteurs. Il existe des règles statistiques de confidentialité qui font qu’il est impossible pour nous de dévoiler des listes d’attente » confie le directeur d’accès au réseau. Des informations qui pourraient s’avérer rédhibitoire pour ces grands groupes industriels au moment crucial de l’attribution des marchés. Bien ancrée dans le fonctionnement de RTE et sur cette base, cette règle a donc naturellement été transposée aux énergies renouvelables peut-être pour en arranger certains. C’est d’ailleurs cette absence de transparence qui entretient les rumeurs et les projections les plus folles. Le nombre d’acteurs dans le solaire et l’éolien est suffisant pour ne point évoquer une quelconque confidentialité. « Il y a un débat interne sur le sujet. Notre objectif est d’ailleurs de pouvoir publier les listes d’attente dans l’éolien et le solaire durant l’année 2013 avec en sus l’historique de ses listes pour voir l’évolution des tendances» assure Jean-Philippe Bonnet. Histoire d’éviter enfin toutes suspicions et d’y voir définitivement plus clair sur ces quelques petites entrées qui finissent parfois par faire de grosses bulles

Encadrés

Pourquoi RTE ne fait pas obligation de permis de construire pour ses listes d’attente !

Si ERDF demande obligatoirement un permis de construire pour intégrer ses listes d’attente, il n’en est rien de RTE. « C’est vrai, c’est plus facile chez nous qu’ailleurs de déposer des projets » admet Jean-Philippe Bonnet. La raison invoquée repose sur la durée de réalisation des projets en haute tension, jusqu’à quatre à cinq ans. « C’est ce qui explique le fait que l’on ne demande pas un permis de construire » ajoute le directeur d’accès au réseau. Chez ERDF, en moyenne tension, la durée moyenne de réalisation d’un projet est de 18 mois. Autant disposer de toutes les pièces tout de suite. Cependant, pour éviter que des projets dormants ne soient déposés juste pour encombrer la liste d’attente, RTE a mis en place des procédures conçues pour vérifier la réalité d’avancement des projets de production. Tous les ans, le porteur de projet doit fournir des documents réalistes études d’impact, récépissé de permis de construire pour demeurer dans la liste. En cas de non-présentation de pièces et pour rester dans la liste, il doit alors s’acquitter d’une pénalité financière dissuasive au prorata de la puissance à hauteur de 1000 euros par MW. Il faut que ça tourne. « Il faut savoir que si l’investisseur laisse tomber le projet, ces sommes ne lui sauront pas rembourser » conclut Jean-Philippe Bonnet.

Quid des schémas régionaux de raccordement au réseau des EnR ?

Les schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables, institués par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, définissent les ouvrages à créer ou à renforcer pour atteindre les objectifs fixés par les schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie en matière d’énergies renouvelables. Ils définissent également un périmètre de mutualisation entre les producteurs du coût des ouvrages électriques à construire afin de permettre l’évacuation de l’électricité produite à partir de sources d’énergies renouvelables.
Ces schémas sont élaborés par le gestionnaire du réseau public de transport d’électricité, en accord avec les gestionnaires des réseaux publics de distribution concernés, en fonction des objectifs de développement des énergies renouvelables fixés par les schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie. Ils sont approuvés par le préfet de région concerné.

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