Bertrand Piccard : Un utopiste pragmatique

Par le biais de son avion solaire Solar Impulse, l’aventurier suisse Bertrand Piccard s’est érigé en défenseur acharné de l’énergie solaire sous toutes ses formes. Son but n’est pas de révolutionner l’aviation, ni de faire voler 200 personnes à l’énergie solaire mais de changer les mentalités. Pour Bertrand Piccard, guest star de la conférence DERBI 2012 à Perpignan, les énergies renouvelables doivent s’imposer dès aujourd’hui au quotidien dans l’opinion. Solar Impulse y contribue. Du rêve à la réalité !

Plein Soleil : Après avoir fait un tour du monde sans escale en ballon, votre dévolu s’est porté sur l’avion solaire Solar Impulse. Comment cette idée vous est-elle venue ?

Bertrand Piccard : Cela m’est venu dans le désert après mon atterrissage en ballon avec lequel je venais de réaliser le tour du monde. Un exploit unique ! Il ne nous restait plus que quelques litres de gaz dans nos bouteilles, nous étions à la merci d’une énergie fossile. Notre tour du monde a tenu à si peu. C’est là qu’est née l’idée de Solar Impulse, d’un avion qui fonctionnerait à l’énergie solaire renouvelable, en toute autonomie, sans la crainte d’une panne sèche.

PS : En fait, vous avez choisi la voie du rêve pour convaincre les gens à utiliser les énergies renouvelables dans leur quotidien ?

BP : Du premier vol motorisé des frères Wright en 1903, au premier pas sur la lune, il s’est écoulé 66 ans. Le 20ème siècle a été celui de l’aviation. Voler est un rêve millénaire, l’aviation fait rêver, procure de l’enthousiasme. Le but de Solar Impulse n’est pas de révolutionner l’aviation, ni de faire voler 200 personnes à l’énergie solaire. Notre but est d’être utile, de changer les mentalités, d’intéresser les gens à leur vie de tous les jours, d’aider au développement de choses que tout le monde croit impossible.

Solar Impulse a changé l’image du photovoltaïque au Maroc

PS : Solar Impulse en tant qu’icône médiatique pour la vulgarisation de
l’énergie solaire ?

BP : C’est un peu ça. Solar Impulse existe pour montrer au monde que les technologiques photovoltaïques actuelles sont d’ores et déjà rentables, pour prouver que l’eau chaude solaire sanitaire devrait être quelque chose de parfaitement évident. Avec à la clé des intérêts économiques énormes pour les industries concernées. Malheureusement, on continue à faire ce que l’on a toujours fait, à savoir utiliser des énergies fossiles subventionnées dont on occulte le coût externe. Il n’est qu’à voir le débat autour des gaz de schiste dont l’extraction va causer des dégâts épouvantables en injectant des tonnes de produits toxiques dans le sol.

PS : Solar Impulse peut-il aider concrètement à changer les choses ?

BP : Je vais vous donner l’exemple du Maroc. Cet été, Solar Impulse a réalisé son premier vol intercontinental entre Europe et Afrique. Nous avons été accueillis avec beaucoup de ferveur au Maroc. Dans ce pays, il a été mis en place des programmes d’électrification de villages isolés avec du photovoltaïque. Des consultations ont montré que les populations étaient assez hostiles à ces technologies solaires décentralisées qu’elles jugeaient ringardes. Elles disaient préférer être connectées au réseau et vouloir des câbles. Depuis la venue de Solar Impulse, la donne a changé. Le photovoltaïque est beaucoup mieux accepté et il est même devenu un symbole de modernité. Il permet de consommer l’énergie sur place, de créer de l’emploi dans les territoires. Au Maroc, Solar impulse a apporté une autre vision du solaire.

PS : Vous dîtes que nous devons tous lutter contre nos habitudes pour nous réinventer. Est-ce là la source du progrès ?

BP : Les gens n’aiment pas qu’on les oblige à se réinventer. Et pourtant, ceux qui vont réussir sont ceux qui y parviennent. Regardez Kodak qui a inventé l’appareil numérique. Ils ont disparu faute d’audace et d’innovation. Ceux qui produiront l’énergie et les solutions énergétiques de demain ne sont pas ceux qui la produisent aujourd’hui. Les gens du sérail n’ont souvent pas la vision. C’est un horloger suisse, Swatch, qui est parvenu à hydrogéner de l’eau avec un panneau solaire pour produire de l’électricité. C’est un milliardaire de l’Internet, Elon Musk co-fondateur de Paypal, qui a développé la voiture électrique la plus performante du monde la Tesla.

Des cellules photovoltaïques sur mesure

PS : Revenons à Solar Impulse. Après le premier vol de nuit et le premier vol intercontinental, quelles sont les prochaines étapes ?

BP : Nous avons programmé une traversée d’ouest en est des Etats-Unis. Pour ce faire, nous devons construire un deuxième avion moins spartiate et plus confortable que le premier. Nous allons créer un espace pour que le pilote puisse se coucher et se reposer. Nous allons aussi développer avec Altran un pilote automatique. Cet avion sera un avion de voyage, là où le premier Solar Impulse était un avion de beau temps qui n’avait même pas les ailes étanches. Le prochain aura les ailes étanches. Il fera huit mètres d’amplitude supplémentaire pour deux tonnes. Il sera donc proportionnellement plus léger.

PS : Solar Impulse est donc conçu suivant l’obsession du poids ?

BP : Exactement et je vous donne un exemple. Rien que pour les cellules
photovoltaïques SunPower qui recouvrent les ailes, nous avons fait couper les wafers par une entreprise suisse avec un gain d’une trentaine de microns (136 contre 165). Rien qu’avec cette opération, nous avons gagné une vingtaine de kilos. Rien n’est laissé au hasard.

PS : Et le tour du monde ?

BP : Il est prévu pour 2015 en cinq ou six étapes. Pour l’heure, cette quête vers le tour du monde doit être jalonnée de succès intermédiaires.

PS : Un mot pour finir. Vous n’avez jamais eu peur en vol dans le cockpit de Solar Impulse ?

BP : Voler dans Solar Impulse est certainement moins dangereux que de vivre dans un monde qui brule des millions de tonnes de pétrole chaque heure qui passe.

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