Arnaud Chaperon : « Total est convaincu du potentiel de développement de l’énergie solaire »

Le français Total présent dans le solaire depuis 1983 via Total Energie, devenu aujourd’hui Tenesol (100% Total), a mis la main l’an dernier sur l’américain SunPower pour près d’un milliard d’euros. Avec l’ambition d’entrer dans le top 5 des leaders mondiaux du solaire photovoltaïque une fois la tempête qui secoue le secteur apaisée. Entretien avec Arnaud Chaperon, 57 ans, directeur Electricité & Energies Nouvelles de Total, sur la stratégie du groupe en matière de solaire photovoltaïque !

Plein Soleil : Pourquoi Total se renforce-t-il actuellement dans le solaire ?
Arnaud Chaperon : Nous sommes convaincus du potentiel de développement très important de l’énergie solaire : elle est propre, très flexible, et la baisse rapide des coûts qui est en train de se produire dans l’industrie en fera d’ici quelques années un moyen compétitif pour produire de l’électricité. Le cÅ“ur de métier de Total est la production d’hydrocarbures mais cela ne nous empêche pas de mener une réflexion sur les énergies au sens large du terme. Aujourd’hui, le monde a besoin de toutes les énergies pour satisfaire la demande croissante. La question que nous nous sommes posée était : Dans quel secteur Total peut apporter une vraie valeur ajoutée dans les énergies alternatives ? Deux énergies sont sorties du lot : le solaire et la biomasse pour lesquels nous sommes d’ores et déjà en mode business. Dans la biomasse et les biotechnologies, Total a acquis une participation de 22 % dans la société californienne Amyris, une des plus belles sociétés de biotechnologie dans le monde, qui offre au groupe des perspectives très intéressantes dans les biocarburants et les biomolécules avancées. Dans le solaire, Total a fait l’acquisition en 2011 de 60 % de l’américain SunPower et a racheté la participation de 50 % d’EDF dans Tenesol, confirmant ainsi l’ambition du groupe d’être un leader mondial dans le solaire photovoltaïque.

PS : Avec ses acquisitions et ses prises de participation, où se situe aujourd’hui Total dans l’industrie photovoltaïque mondiale ?
AC : Dans le génome de SunPower, la cellule occupe une place prépondérante. Nous sommes là dans la haute technologie avec les rendements les plus élevés du monde au-delà des 20%. Avec ses usines en Malaisie et aux Philippines, SunPower dispose d’une capacité de production de cellules supérieure à 1 GW. En matière lingots et de wafers, SunPower n’a pas directement de capacité mais la société a développé avec le temps des partenariats autour de contrats de long terme de silicium auprès de fournisseurs de wafers et lingots. Sur le plan des modules, SunPower dispose d’usines d’assemblage aux Philippines et au Mexique et a signé des contrats avec des partenaires en Chine et en Pologne. Côté Tenesol, spécialiste de l’assemblage de modules, la capacité atteint 170 MW entre l’Afrique du Sud et Toulouse. On le voit : avec SunPower et Tenesol, nous avons une présence mondiale et nous sommes clairement un des leaders mondiaux du secteur avec un leadership technologique.

Premier module de rendement supérieur à 20% fabriqué en France

PS : Sans oublier votre usine de De Vernejoul en Moselle ?
AC : C’est exact. Tenesol reprend l’usine de De Vernejoul d’une capacité de 50 MW qui entrera en service au deuxième trimestre de cette année. Cette usine est taillée sur mesure pour assembler des modules à partir de cellules SunPower. Ce sera d’ailleurs le premier module fabriqué en France avec des rendements au-dessus de 20% ! Avec à la clé la création de 80 emplois.

PS : Justement en termes d’emplois, que pèse la branche solaire de Total ?
AC : Tenesol, c’est 700 personnes dans le monde dont environ 400 en France, dont l’usine de De Vernejoul. SunPower emploie près de 5200 personnes dans le monde dont 250 en Europe. En tout, cela représente plus de 6000 personnes dans le monde.

PS : En achetant, SunPower mi 2011, pensez-vous l’avoir acquis dans le bon timing ?
AC : C’est quand le bon moment ? SunPower est une superbe société. Nous avons mis un milliard d’euros sur la table pour acquérir un leader mondial. Et les synergies avec Tenesol vont renforcer considérablement l’aval de SunPower.

PS : Vous attendiez-vous à autant de turbulences sur ce marché en 2011 ?
AC : Vous parlez de turbulences, j’évoquerai même une tempête. Nous nous attendions certes une crise mais pas de cette l’ampleur : la baisse des coûts est de 50% sur une seule année. Deux raisons à cette tempête. La crise de la dette des pays européens qui a contraint les gouvernements à un tour de vis drastique sur la politique des tarifs d’achat avec le climax français du moratoire. En parallèle, la trajectoire de l’offre, sous l’impulsion de l’industrie chinoise, a connu une accélération exponentielle de plus de 100% engendrant des surcapacités très vite massives. L’effet ciseau a été terrible même si l’année 2011 a connu une croissance de plus de 25% du solaire photovoltaïque dans le monde. Une croissance insuffisante !

Dans le Top 5 mondial

PS : Comment allez-vous résister à cette tempête alors que les dépôts de bilan se multiplient partout dans le monde ?
AC : La qualité, les performances et l’innovation jouent un rôle essentiel. Aujourd’hui, les industriels qui produisent des cellules à bas rendement disparaissent. Ce n’est même plus une question de prix. Il s’agit d’un « cut off » par le bas. Les clients s’orientent vers les hauts rendements avec en point de mire la course au prix de l’électricité générée, le prix du kWh produit. Le nouvel ensemble SunPower-Tenesol a l’avantage de bénéficier d’un accès au marché et au client final, et a la capacité d’investir dans la chaîne de production pour gagner en compétitivité. Cinq à six acteurs vont probablement émerger. Nous avons pour vocation de sortir de la tempête parmi ces cinq ou six acteurs mondiaux. Pour cela, nous allons aussi maintenir les efforts du Groupe en R&D.

PS : Avec l’efficience de vos cellules comme principal argument différenciant ?
AC : Oui c’est vrai, SunPower est connue et reconnue pour l’efficience de ses cellules mais je voudrais que l’on aille au-delà. SunPower, c’est plus que cela. SunPower, ce sont des innovations, un savoir-faire, un gage de qualité. Avant la crise, SunPower a mis en place une stratégie avec la création de nouveaux produits et de nouveaux applicatifs. Par exemple, pour les fermes solaires de grande taille, elle a créé Oasis, un kit géant de 1 MW pré-monté qui permet un Balance Of System (BOS) ultracompétitif. En matière d’innovation, SunPower a également développé un profilage spécifique pour optimiser la tenue au vent des panneaux sur les toits. Autant de produits qui donnent accès au marché et permettent de développer des projets de type EPC (Engineering Procurement Construction) dotés de financements. C’est la valeur ajoutée d’un groupe qui affirme sa présence sur le marché mondial avec pour cible principale les pays de la SunBelt.

20 GW en France en lieu et place des 5,4 GW à enveloppe financière constante

PS : Quelles sont les synergies entre SunPower et Tenesol ?
AC : Par son histoire, Tenesol dispose justement d’une vraie expérience dans le monde entier et elle a acquis une dimension intéressante en Europe. Ses activités sont complémentaires avec SunPower tant du point de vue géographique que des réseaux de distribution. La société est également bien positionnée sur le secteur off grid duquel SunPower est absent.
SunPower apporte la force d’un pôle industriel amont de très grande qualité. L’accès à la meilleure technologie va renforcer la compétitivité des sites industriels de Tenesol. Ce nouvel ensemble bénéficiera de l’appui du réseau mondial de Total, présent dans 130 pays, pour se développer.

PS : Répondez-vous aux appels d’offres de la CRE ?
AC : Absolument. Nous y travaillons et nous y répondons. J’espère surtout que l’on va en remporter quelques-uns.

PS : Mais quand même que pensez-vous du seuil de production annuel à 500 MW instauré en France quand on voit l’Allemagne installer 3 GW sur le seul mois de décembre 2011 ?
AC : Je pense que la France, avec ses régions du sud à 1300 heures d’ensoleillement par an, dispose d’opportunités et peut porter l’ambition d’installer 2 à 3000 MW par an. La France pourrait ainsi atteindre 20 GW à horizon 2020, scénario encouragé par le SER. Elle a aujourd’hui les capacités d’assumer une telle puissance dans la même enveloppe financière préalablement affectée au 5,4 GW du Grenelle. Cela replacerait de plus le secteur dans une dynamique de création d’emplois, surtout dans l’aval de la filière et à travers les services associés, la gestion de l’intermittence, les smart grids.

PS : Quel pourrait-être le déclic ?
AC : Cela relève d’une question politique. Chaque jour, la compétitivité du solaire s’améliore. La filière doit désormais se développer sans à-coups, avec de la visibilité. En France, le marché s’est assaini. J’espère voir la situation s’inverser en 2013 en France et dans le monde entier. La pause est temporaire.

PS : Une dernière question d’actualité. Pourquoi Total ne s’est pas porté au chevet de Photowatt, en quête d’un repreneur, en tant que société d’énergie française ?
AC : Notre préoccupation première était de développer notre filiale historique Tenesol, qui est leader français et emploie 700 personnes, dont 400 en France. Ensuite, notre stratégie a été d’acquérir un leader mondial intégré, technologiquement hyper performant et complémentaire avec Tenesol. C’est pourquoi nous avons choisi SunPower. Les atouts de ces deux sociétés réunies représentent un formidable potentiel de développement à l’international comme en France.

La bio d’Arnaud Chaperon

Arnaud Chaperon, ingénieur ENSTA (Génie Maritime) a commencé sa carrière en 1980 chez Total comme géophysicien à la Direction Exploration, avant de prendre en 1987 la direction du service Gaz dans la filiale de Total au Japon. En 1990 il est nommé représentant du Groupe à Taïwan, où il reste 3 ans avant de rentrer au siège pour prendre la responsabilité du Commerce International du gaz et des gaz de pétrole liquéfiés à la direction Gaz et Electricité. Au moment de la fusion avec Elf, il prend la direction des Gestions de Carrières et de la Formation pendant deux ans au sein de la branche Exploration Production. Il est nommé en 2002 directeur général de Total EP Qatar, et représentant du groupe au Qatar. Après cinq années au Qatar, en 2007 il rentre au siège pour prendre la direction Electricité et Nouvelles Energies au sein de la branche Gaz et Energies Nouvelles nouvellement crée avec pour mission de développer la position de Total dans les énergies décarbonées, notamment le solaire et la biomasse/biotechnologie. En 2011, l’acquisition de 60 % de l’américain SunPower et le rachat de la participation de 50 % d’EDF dans Tenesol, confirment l’ambition du groupe d’être un leader mondial dans le solaire photovoltaïque. Il est président de Total énergie développement.
Arnaud Chaperon est marié, père de quatre enfants, et est chevalier de l’ordre national du mérite.

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